200-09-009871-184
Chamberland, Ruel, Sansfaçon
Appels d’un jugement de la Cour supérieure ayant accueilli la demande et le pourvoi en cassation, en contrôle judiciaire et en remboursement présentés par l’intimée Ville de L’Ancienne-Lorette (VAL), avec l’appui de l’intimée Ville de Saint-Augustin-de-Desmaures (VSAD). L’appel principal et l’appel incident de VAL sont accueillis en partie et l’appel incident de VSAD est rejeté.
Depuis le 1er janvier 2006, les territoires de VAL et de VSAD forment, avec celui de l’appelante, la Ville de Québec (VQ), l’agglomération de Québec. Les dépenses municipales, et plus particulièrement celles de la ville centrale, ont été revues et réparties pour établir la quote-part de chacune des 3 villes aux dépenses de l’agglomération. Trois types de dépenses sont établis: les dépenses de proximité, résultant de l’exercice d’une compétence propre à chacune des villes et que chaque ville doit supporter individuellement; les dépenses d’agglomération, résultant de l’exercice d’une compétence d’agglomération et réparties entre les 3 villes selon leur potentiel fiscal; et les dépenses mixtes, résultant de l’exercice à la fois d’une compétence de proximité et d’une compétence d’agglomération (règlement de l’agglomération sur le partage des dépenses mixtes (R.R.A.V.Q., c. P-1)).
La Loi sur l'exercice de certaines compétences municipales dans certaines agglomérations (RLRQ, c. E-20.001) précise que seule la municipalité centrale peut agir à l'égard des compétences d'agglomération. En conséquence, VQ a imposé une taxe d'agglomération aux citoyens de VAL et de VSAD pour les exercices financiers 2006 et 2007. Le 25 octobre 2007, l’Assemblée nationale a adopté la Loi modifiant diverses dispositions législatives en matière municipale (L.Q. 2007, c. 10), dont la Loi sur l’exercice de certaines compétences municipales dans certaines agglomérations. Le législateur a alors modifié le mode de financement des dépenses d’agglomération. À compter de l’exercice financier 2008, ces dépenses seraient financées au moyen de quotes-parts imposées à chacune des 3 villes liées. Dans la foulée de ces modifications, le conseil d’agglomération de VQ a adopté le règlement de l’agglomération sur l’imposition des quotes-parts aux municipalités liées (R.A.V.Q. 294). Le 16 janvier 2009, l'«Entente pour améliorer le fonctionnement de l'agglomération de Québec» a été adoptée. Celle-ci fixe la contribution de VAL et de VSAD aux dépenses mixtes à 2 525 000 $ pour l'exercice financier 2008, répartie entre elles selon leur potentiel fiscal. L'entente prévoit aussi l'indexation annuelle de cette somme. Le même jour, le gouvernement du Québec et VQ ont conclu l'«Entente pour appuyer le rôle joué par la Ville de Québec à titre de Capitale-Nationale». Le 23 décembre 2009, le conseil d'agglomération de VQ a adopté le règlement modifiant le règlement de l’agglomération sur l’imposition des quotes-parts aux municipalités liées relativement au traitement des dépenses mixtes (R.A.V.Q. 507). Ce règlement plafonne les dépenses mixtes de VAL et de VSAD à 2 525 000 $ pour l'exercice financier 2009 et interdit l'indexation négative de cette contribution.
Bien que le règlement de l’agglomération sur l’imposition des quotes-parts aux municipalités liées puisse représenter l’expression d’un pouvoir législatif à l’égard duquel le conseil d’agglomération ne pouvait se lier, les faits particuliers de l’affaire et les circonstances qui ont mené à la signature des ententes du 16 janvier 2009, ainsi que l’objet même de l’entente tripartite, amènent à conclure que ce règlement est nul et que le règlement de l’agglomération sur le partage des dépenses mixtes est inopposable aux intimées parce que VQ a exercé son pouvoir de réglementer de mauvaise foi et de façon contraire à l’intention souhaitée par le législateur.
D’autre part, le juge de première instance n’a pas erré en concluant que l’exercice d’«optimisation des dépenses d’agglomération 100 %» qu’a mené VQ n’est rien d’autre qu’une inversion du processus d’analyse prévu aux articles 57 et 68 de la Loi sur l’exercice de certaines compétences municipales dans certaines agglomérations. Or, lorsque VQ transforme une partie d’une dépense mixte en dépense 100 % d’agglomération, cela a comme effet direct d’augmenter la quote-part des 2 autres villes et de diminuer d’autant la sienne puisque ce sont des vases communicants. Cela a aussi comme effet de rompre l’équilibre financier mis en place par les ententes du 16 janvier 2009, les 2 ententes formant un tout et les versements prévus dans la seconde visant à combler la perte causée à VQ par la première, tant et si bien que la quote-part de VAL en 2010 était presque au même niveau qu’en 2008, avant la conclusion des ententes. Cela a finalement pour effet d’empêcher VAL et VSAD de tirer profit des avantages financiers prévus aux ententes et, du même coup, de permettre à VQ d’en tirer un avantage indu.
Par ailleurs, le juge s’est bien dirigé en estimant, d’une part, que la dépense doit suivre l’objet (agglomération ou proximité) aux fins duquel elle est effectuée, peu importe qu’elle soit financée ou non par un règlement d’emprunt et, d’autre part, qu’il y a lieu de requalifier les dépenses associées aux règlements d’emprunt antérieurs au 1er janvier 2006. Toutefois, en ce qui concerne celles découlant d’emprunts contractés pour financer les travaux touchant des éléments accessoires ou connexes aux voies de circulation qui constituent le réseau artériel à l’échelle de l’agglomération, il s’agit de dépenses d’agglomération. En conséquence, la Cour arbitre à 20 000 $ la somme dont devra être réduite l’indemnité accordée à VAL au chapitre du service de la dette.
Enfin, l'interprétation de l'article 8 de la Charte de la Ville de Québec, capitale nationale du Québec (RLRQ, c. C-11.5) et des articles 57.1 et ss. du Décret concernant l'agglomération de Québec (Décret 1211-2005 du 07-12-2005, (2005) 137 G.O. II 6880A) confirme que le juge n’a pas erré en concluant qu’il serait manifestement inéquitable pour VAL et VSAD de contribuer aux déficits actuariels relatifs aux régimes de retraite à prestations déterminées antérieurs à la fusion des municipalités et être tenues responsables des charges relatives au régime d’invalidité à long terme alors qu’elles n’en offraient aucun à leurs propres employés.
Législation interprétée :
articles 57 et 68 de la Loi sur l’exercice de certaines compétences municipales dans certaines agglomérations
article 8 de la Charte de la Ville de Québec, capitale nationale du Québec
articles 57.1 et ss. du Décret concernant l'agglomération de Québec
Texte intégral de l’arrêt : http://citoyens.soquij.qc.ca