Cour d'appel du Québec

Renvoi à la Cour d’appel du Québec relatif à la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis

Thibault, Morissette, Bich, Bouchard, Mainville

500-09-028751-196

Sommaire de l’avis

Le contexte ayant mené à l’adoption de la Loi

La Loi marque une étape récente dans un processus enclenché il y a près de deux siècles. Il convient d’exposer à grands traits le contexte de son adoption. Pendant des décennies, des politiques d’assimilation ont gravement préjudicié à plusieurs générations d’Autochtones. En raison à la fois d’un chevauchement des compétences constitutionnelles et d’un sous-financement chronique par le gouvernement fédéral, les peuples autochtones peinent encore aujourd’hui à surmonter les effets à long terme de cet état de fait.

Depuis quarante ans, plusieurs importantes commissions d’enquête ont mis en évidence les conséquences dramatiques que subirent ainsi les peuples autochtones et leurs enfants. La nécessité s’est progressivement imposée de laisser les Autochtones prendre en main les services à l’enfance et aux familles qui les concernent. Cela conduisit à l’entrée en vigueur de la Loi le 1er janvier 2020.

Historiquement, certaines politiques menées au 19e siècle et au début du 20e siècle visaient l’assimilation des Autochtones par leur complète intégration dans la société non autochtone. Diverses mesures (aujourd’hui considérées discriminatoires) furent mobilisées dans ce but. Elles amorcèrent un processus de dépréciation de l’identité culturelle autochtone. Avec la Confédération, la compétence de légiférer sur les « Indiens » échoit au gouvernement fédéral. Plusieurs lois sont adoptées par la suite qui consacrent cette même politique. Selon les paroles d’un membre du gouvernement prononcées au Parlement, « [i]l faut traiter les Sauvages comme des mineurs ou comme des blancs ». Malgré ce qui à l’époque pouvait faire figure de contrepartie afférente au statut d’« Indien » – aucun impôt ne peut être perçu dans une réserve – la législation s’attaque directement à l’identité autochtone en interdisant certaines pratiques culturelles et spirituelles séculaires.

Dès 1883, la politique assimilatrice engendre les pensionnats pour enfants autochtones, que l’on arrache ainsi à leurs familles. Témoignant en 1920 devant un comité parlementaire, un sous-ministre déclare avoir pour objectif « qu’il n’y ait plus un seul Indien au Canada qui n’ait pas été absorbé par la société ». Suivent à compter de 1940 les écoles résidentielles, un parallèle fonctionnel mais très approximatif des services de protection de la jeunesse provinciaux. On y dispense une éducation médiocre dans des conditions de grand dénuement et où l’usage des langues autochtones est réprimé. En raison de la propagation de maladies comme la tuberculose, le taux de mortalité des enfants y est anormalement élevé. Il y règne ce qui plus tard sera qualifié d’une indicible cruauté.

Le Parlement modifie en 1951 la Loi sur les Indiens pour rendre applicables aux Autochtones là où ils se trouvent les lois provinciales d’application générale, dont celles de portée sociale. La portée de cette modification fait l’objet de controverses.

Plus de 150 000 enfants autochtones ont fréquenté des pensionnats autochtones jusqu’aux années 1990. Des milliers d’entre eux ont été victimes de sévices physiques, psychologiques et sexuels. La fin progressive du système des pensionnats ne mettra cependant pas un terme à la séparation forcée des enfants autochtones de leurs familles. Aux pensionnats succèdent les familles d’accueil allochtones, ce qu’on appellera par la suite la « rafle des années soixante ». L’adoption massive d’enfants autochtones entraînera chez eux d’importants problèmes identitaires et comportementaux.

En 2006, la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens (« Convention de règlement ») réglait de manière globale de nombreux recours individuels et collectifs issus du système des pensionnats. D’autres règlements cadres ont été conclus dans les affaires Brown et Riddle en 2018.

Par ailleurs, entre 1991 et 2019, quatre commissions d’enquête distinctes ont abordé sous plusieurs angles différents les conséquences du sort fait aux Autochtones : la Commission royale sur les peuples autochtones, la Commission de vérité et réconciliation du Canada (« Commission de vérité et réconciliation »), la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec : écoute, réconciliation et progrès (« Commission Viens ») et l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. La première d’entre elles, qui fit rapport en 1996, identifiait comme thème central de ses recommandations l’idée qu’il faut laisser les Autochtones exercer leur autonomie et élaborer leurs propres solutions. Dans son rapport de 2015, la deuxième énumérait une série de mesures pour remédier à la surreprésentation des enfants autochtones dans les prises en charge par les services à l’enfance. La Commission Viens concluait en 2019 à l’existence d’une discrimination systémique envers les Premières Nations et à l’inadéquation d’un système de protection de la jeunesse qui confie des enfants autochtones à des familles allochtones. La même année, l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées formulait plusieurs recommandations visant elles aussi à confier aux Autochtones, dans l’exercice de leur autodétermination, la conception et la mise en place de services à l’enfance et aux familles respectueux des spécificités autochtones.

Tous conviennent désormais que la déplorable surreprésentation des enfants autochtones au sein des services de protection de la jeunesse perdure de manière marquée encore aujourd’hui. Les trois plus récentes commissions déjà évoquées ont dénoncé cette réalité, de même que la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse (« Commission Laurent ») en 2021. Les causes, dont un sous-financement chronique, en sont multiples et en interrelation les unes avec les autres.

Les modalités de financement des services à l’enfance autochtone varient sensiblement d’une communauté à l’autre, mais le gouvernement fédéral demeure sa principale source, soit directement par les organismes de services à l’enfance et à la famille des Premières Nations (« SEFPN »), soit indirectement par l’entremise de services dispensés par les provinces. L’image qui s’en dégage dans le dossier du renvoi est imprécise à divers égards. Cela dit, des décisions récentes du Tribunal canadien des droits de la personne (« TCDP ») ont bien mis en évidence le caractère discriminatoire et lacunaire des pratiques en place.

En 2007, la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations et l’Assemblée des Premières Nations déposèrent une plainte en ce sens auprès de la Commission canadienne des droits de la personne. Cette plainte est à l’origine de l’affaire Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al. c. Procureur général du Canada (pour le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien) devant le TCDP. En 2016, ce dernier donnait raison aux plaignantes et concluait que le ministère des Affaires autochtones et Développement du Nord Canada agit de manière discriminatoire dans la fourniture des services à leurs membres. Le TCDP est d’avis qu’une relation de caractère public existe entre ce ministère et les enfants et familles autochtones. Or, la preuve versée au dossier démontre de sérieuses lacunes dans le financement et la structure des programmes SEFPN, les budgets ne tenant pas compte de leurs besoins réels en fonction des variations géographiques et sociales. Selon le TCDP, les effets préjudiciables qui en résultent pour les enfants et les familles autochtones découlent uniquement de leur race ou de leur origine nationale ou ethnique. Le gouvernement fédéral a accepté cette décision et s’est engagé à apporter les réformes qu’elle rend nécessaires. Plusieurs ordonnances du TCDP, en particulier sur l’indemnisation des victimes des pratiques discriminatoires, ont par la suite étayé la décision de 2016.

Des conflits de compétence entre les gouvernements fédéral et provinciaux ont aussi compliqué la fourniture de services adéquats aux peuples autochtones, ou y ont même fait obstacle. Pour remédier à cet état de choses, le Principe de Jordan, qui priorise l’intérêt de l’enfant autochtone, fut développé. Relayé par les décisions du TCDP, il fait aujourd’hui l’unanimité.

Deux ans après la décision de 2016 par le TCDP, la ministre des Services aux Autochtones a réuni des représentants provinciaux, territoriaux et autochtones pour amorcer un processus urgent de réforme. À l’issue de ces discussions, le gouvernement fédéral prenait plusieurs engagements fermes. Quelque 2 000 organismes furent alors consultés et un « groupe de référence » fut constitué pour participer au développement d’un projet de loi. Cela mena au dépôt le 28 février 2019 du projet de loi C-92. La Loi reçut la sanction royale le 21 juin 2019 et elle est entrée en vigueur le 1er janvier 2020.

Le contenu de la Loi

Deux idées maîtresses sous-tendent la Loi, l’énonciation de normes nationales et la reconnaissance d’un droit inhérent à l’autonomie gouvernementale autochtone. Cette deuxième idée a connu une lente évolution, commencée en 1973 avec l’adoption par le gouvernement fédéral de la Politique sur les revendications territoriales globales, suivie de l’entrée en vigueur de la Loi constitutionnelle de 1982, puis de la promulgation en 1995 d’une Politique sur l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones. L’existence de ce droit y est reconnue et on y préconise la voie de la négociation tripartite (gouvernements fédéral et provinciaux, peuples autochtones). Une convergence s’affirme alors entre la Politique sur les revendications territoriales globales et la Politique sur l’autonomie gouvernementale. Entre 1997 et 2017, elle mènera à la conclusion de plusieurs accords qui, de manière parfois implicite, parfois explicite, touchent au droit ancestral à l’autonomie gouvernementale autochtone. Par ailleurs, certaines lois fédérales adoptées pendant la même période y font occasionnellement référence. En somme, l’idée d’une autonomie administrative, voire politique, des Autochtones percole depuis plus de 45 ans.

En 2018 paraissent sous l’égide du ministère de la Justice les Principes régissant la relation du Gouvernement du Canada avec les peuples autochtones. Il y est fait bonne place au droit ancestral et inhérent des Autochtones à l’autonomie gouvernementale. Clairement, la Loi s’inscrit dans le droit fil de ces Principes de 2018, à l’aune desquels on voit émerger une gouvernance proprement autochtone.

Il convient de donner un aperçu d’ensemble de la Loi avant de s’arrêter sur le détail de son contenu. Compréhensive, la reconnaissance dans la Loi du droit à l’autonomie gouvernementale ne passe plus par la conclusion d’accords bipartites ou tripartites. Par la latitude et l’indépendance fonctionnelle qu’elle laisse aux peuples autochtones, la Loi leur permet de choisir leurs propres solutions, en privilégiant une approche ascendante. Répondant aux exigences pressantes de la réconciliation, la Loi vise à remédier aux lenteurs du processus de négociation d’accords à la pièce. Il est clair que la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (« Déclaration des Nations Unies ») oriente cette intervention législative. Au moyen de normes générales formulées pour l’ensemble du pays, la Loi met en place un cadrage pour assurer la qualité minimale des services aux enfants autochtones, dans un souci manifeste d’égalité à travers le Canada, mais aussi dans le respect des distinctions entre peuples.

Le long préambule de la Loi fait écho aux recommandations des commissions d’enquête qui s’étaient prononcées en 1996 et en 2015. Viennent ensuite de substantielles dispositions définitionnelles et interprétatives. Diverses notions clés y sont précisées, telles celles de « corps dirigeant autochtone », de « famille » ou de « peuples autochtones ». La première de celles-ci laisse aux peuples autochtones le soin de définir eux-mêmes les instances qui appliqueront la Loi. Outre la prévention de certains conflits normatifs, les dispositions interprétatives précisent les principaux objets de la Loi et formulent une règle cardinale : la Loi doit être lue et appliquée en conformité avec l’intérêt de l’enfant et dans le respect de la continuité culturelle ainsi que de l’égalité réelle. On voit bien ici que l’intention du législateur est de trancher avec le passé.

La Partie I de la Loi édicte les normes nationales auxquelles il a été fait allusion plus haut. Elle le fait sous trois rubriques : l’intérêt de l’enfant autochtone, la fourniture des services à l’enfance et à la famille et le placement de l’enfant autochtone.

En ce qui concerne l’intérêt de l’enfant autochtone, considération primordiale selon la Loi, celle-ci énumère une série de facteurs pour l’évaluer. Ils comprennent, entre plusieurs autres éléments, l’éducation de l’enfant autochtone, ses rapports avec les membres de sa famille, le maintien de son identité culturelle et ses propres préférences. Dans la mesure du possible, ces facteurs s’interprètent de manière compatible avec la législation autochtone applicable. Le respect de la culture et des besoins de l’enfant autochtone acquiert une importance particulière lorsque cet enfant est placé ailleurs que dans sa communauté d’origine. Il importe notamment que les parents de l’enfant, son fournisseur de soins et sa communauté d’origine aient fermement voix au chapitre dans toute décision le concernant. La Loi donne priorité aux soins préventifs, privilégie le maintien en place de l’enfant qui réside avec un membre de sa famille et précise que sa condition socio-économique ne peut à elle seule justifier un placement.

Dans cette perspective, le placement doit demeurer une mesure de dernier recours. Elle ne pourra s’effectuer auprès d’adultes allochtones qu’après que tout ait été mis en œuvre pour que l’enfant soit d’abord placé, dans l’ordre, auprès d’un de ses parents, d’un membre de sa famille, d’un membre de sa propre communauté ou d’un membre d’un peuple autochtone autre que le sien. En tout état de cause, une réévaluation régulière de sa situation s’impose. Enfin, les liens affectifs qu’entretient l’enfant avec tout membre de sa famille doivent être favorisés dans la fourniture de services.

Le reste de la Loi concerne l’architecture du nouveau régime. L’art. 18, une disposition déclaratoire, affirme l’existence de l’autonomie gouverne­mentale autochtone. Il précise que cette autonomie s’étend notamment à la compétence législative en matière de services à l’enfance et à la famille, compétence qui ne peut être exercée qu’en respectant la Charte canadienne des droits et libertés (« Charte canadienne »). La Loi met en place par ses par. 20(1) et (2) une procédure en vertu de laquelle un corps dirigeant autochtone peut choisir entre l’une ou l’autre de deux voies d’action. Il peut aviser les gouvernements intéressés qu’il entend exercer cette compétence. Ou il peut demander à ces gouvernements de conclure un accord de coordination dans ce champ de compétence. Cette seconde option, et elle seule, donne ouverture aux art. 21 et 22 de la Loi. Si certaines conditions sont remplies, les textes législatifs autochtones alors adoptés acquièrent selon ces dispositions la même autorité que les lois fédérales et ils ont préséance sur toute disposition incompatible d’une loi fédérale ou provinciale dans ce même champ de compétence. Il en va différemment des textes législatifs autochtones qui auraient été adoptés sans demander la conclusion d’un accord de coordination, textes auxquels les art. 21 et 22 ne s’appliquent pas. Il ressort du tout que le Parlement entend encourager la démarche de négociation.

Par ailleurs, quelle que soit la voie d’action choisie par un peuple autochtone, un texte législatif adopté par lui, mais qui serait contraire à l’intérêt d’un enfant, demeurera sans application. Enfin, une disposition concerne la résolution de conflits entre textes législatifs autochtones. D’autres dispositions, de moindre intérêt pour les fins du renvoi, s’ajoutent à celles qui précèdent.

Il reste que, indépendamment du débat constitutionnel issu du présent renvoi, la Loi comporte des ambiguïtés de nature à soulever diverses questions. C’est ce qu’ont signalé plusieurs intervenants autochtones en commission parlementaire. Ainsi, il est permis de penser que des différends pourraient s’élever au moment de déterminer quelles entités se qualifieront comme « corps dirigeant autochtone ». D’autres sources de difficultés potentielles concernent la capacité matérielle pour les peuples autochtones de fournir eux-mêmes les services envisagés par la Loi, ou elles ont rapport aux modalités de fonctionnement des mécanismes de règlement des différends. La question du financement des services aux enfants et aux familles demeure névralgique et largement en suspens, malgré la mention des « arrangements fiscaux » dans la liste des sujets sur lesquels peuvent porter les accords de coordination visés par le par. 20(2). Plusieurs déclarations publiques par des porte-parole autochtones l’ont rappelé avec insistance. Ces aspects de la Loi pourraient engendrer des litiges. Cela dit, il n’y a pas lieu d’en dire plus ici vu la question précise posée par le présent renvoi.

Les positions respectives du Québec, du Canada et des intervenantes

Les procureurs généraux ont déployé leur argumentation sur deux plans : le par. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 et l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Pour celui du Québec, la Loi envahit une compétence de la province et elle modifie unilatéralement la portée cet art. 35. Une réponse affirmative à la question du renvoi s’impose donc. Pour celui du Canada, qui conteste ce qui précède, le renvoi appelle une réponse de portée limitée mais négative.

Le procureur général du Québec invoque d’abord la compétence de principe de la province sur la protection de l’enfance en général. Or, la Loi dicte la façon de dispenser de tels services aux Autochtones, ce qui outrepasse les limites du par. 91(24) et met en péril l’architecture constitutionnelle. La Loi entraverait aussi la compétence de la province sur sa fonction publique. Par ailleurs, en affirmant l’existence d’un droit inhérent à l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones, la Partie II de la Loi usurpe le rôle des tribunaux et crée unilatéralement un troisième ordre de gouvernement au Canada. Cela ne peut se faire que par une modification constitutionnelle ou au moyen de traités protégés par l’art. 35. Il s’ensuit que, sur le premier volet, la Partie I est invalide et, sur le second volet, la Partie II l’est aussi. Ces conclusions suffisent et la Cour n’a pas à se prononcer sur la portée de l’art. 35.

Après un rappel des services offerts par le gouvernement fédéral, le procureur général du Canada identifie le caractère véritable de la Loi, soit de protéger les enfants et les familles autochtones en réduisant le nombre d’enfants autochtones dans les systèmes actuels de services à l’enfance. Selon lui, cette matière relève assurément de la vaste compétence attribuée par le par. 91(24) et son exercice ici n’entrave aucunement les compétences provinciales. En outre, pour ce qui est des dispositions relatives au droit ancestral à l’autonomie gouvernementale, rien dans la Loi n’empêcherait que soit contestée devant les tribunaux la validité de textes législatifs autochtones. Néanmoins, l’interprétation de l’art. 35 que véhicule la Loi est conforme à la jurisprudence.

L’Assemblée des Premières Nations considère que, par son caractère véritable, la Loi vise à remédier aux politiques colonisatrices du gouvernement fédéral. La lecture que présente la Loi d’un droit inhérent des peuples autochtones à l’autodétermination est conforme à l’évolution du droit et à ce que commandent l’honneur de la Couronne et les normes internationales pertinentes.

L’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador et la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador estiment que le caractère véritable de la Loi, outre ce qu’en dit le procureur général du Canada, est aussi de soutenir la continuité culturelle autochtone et de faciliter l’exercice du droit inhérent à l’autonomie gouvernementale. Seul l’art. 88 de la Loi sur les Indiens justifie que les lois provinciales s’appliquent aux services à l’enfance et à la famille autochtones. La Loi est l’expression actuelle des responsabilités qui incombent au gouvernement fédéral en vertu du par. 91(24). La Cour ici doit trancher la question du droit inhérent à l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones.

La Société Makivik, qui n’a pas pris part aux plaidoiries orales, a rappelé dans son mémoire que, depuis un renvoi de 1939, le gouvernement fédéral a toujours été responsable de fournir des services aux Inuit du Nunavik.

L’intervenante Aseniwuche Winewak Nation of Canada n’a pris position que sur la Partie I de la Loi et soutenu qu’elle peut redresser la situation des enfants autochtones comptant parmi les Indiens non inscrits ou n’appartenant pas aux Premières Nations.

La première partie de l’analyse : la constitutionnalité des normes nationales

Les art. 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 répartissent les compétences législatives entre les gouvernements fédéral et provinciaux. Une question sur la validité constitutionnelle d’une loi au regard du partage des compétences se résout selon une analyse en deux temps. Il faut d’abord qualifier l’objet et le caractère véritable de la loi. Cette qualification est suivie d’un exercice de classification : à laquelle des compétences énumérées peut-on rattacher la loi ainsi qualifiée? Lorsqu’une loi présente plusieurs aspects dont certains paraissent proches de l’art. 91 et d’autres proches de l’art. 92, il faut considérer le contexte de son adoption ainsi que ses effets sur les plans pratique et juridique. Outre l’identification de l’aspect dominant d’une loi, la théorie du double aspect permet de valider des dispositions semblables qui pourront figurer valablement à la fois dans des lois fédérale et provinciale. La doctrine de l’exclusivité des compétences permet quant à elle d’éviter qu’une loi entrave le contenu irréductible d’une compétence attribuée à l’autre ordre de gouvernement.

Le par. 91(24) englobe tous les peuples autochtones au Canada, Métis et Inuit compris. Cette compétence, qui est vaste, permet de légiférer sur tous les aspects de la « quiddité indienne ». Relèvent aussi de l’essence de la compétence fédérale le bien-être des Autochtones et les divers liens personnels entre eux, tels les relations au sein des familles, l’adoption ou les affaires testamentaires. Cette compétence plénière implique qu’elle empiètera à l’occasion sur les matières visées par l’art. 92, mais cela ne signifie évidemment pas que le Parlement fédéral peut par ce moyen envahir les compétences provinciales : l’analyse en deux temps s’impose et les tribunaux privilégient, dans la mesure du possible, l’application régulière des lois édictées par les deux ordres de gouvernement.

En l’occurrence, le procureur général du Québec soutient que, de par son caractère véritable, la Loi dicte la façon dont les services à l’enfance et aux familles doivent être fournis par les provinces en contexte autochtone. Selon la Cour, une analyse complète de la Loi, de son contexte d’adoption et de ses effets fait ressortir tout autre chose. Le caractère véritable de la Loi est d’assurer le bien-être des enfants autochtones en favorisant des services culturellement adaptés qui remédieront à leur surreprésentation dans les réseaux provinciaux de protection de l’enfance. L’abondante preuve extrinsèque versée au dossier le démontre.

Quant à la proposition du procureur général du Québec que la Loi, par ses effets, entrave gravement la compétence de la province sur sa fonction publique, elle ne résiste pas à l’analyse. Les principes nationaux formulés par la Loi le sont en termes généraux et non comme des modalités pratiques de livraison des services à l’enfance destinées aux fonctionnaires provinciaux. Ces principes sont compatibles avec la législation québécoise sur la protection de l’enfance. L’incidence possible de la Loi sur le travail des fonctionnaires provinciaux n’en est qu’un effet accessoire et ne change pas son caractère véritable.

Enfin, sont aussi à écarter les arguments que la Loi contrevient aux principes de fédéralisme et de démocratie sous-jacents à la Constitution et que, selon la doctrine de l’exclusivité des compétences, la Loi est inapplicable aux fonctionnaires provinciaux. De tels principes ne peuvent avoir préséance sur une mesure législative validement adoptée en vertu du par. 91(24). Quant à la doctrine de l’exclusivité des compétences, qui est d’utilisation restreinte, elle suppose une entrave au contenu essentiel d’une compétence législative, ce dont le procureur général du Québec n’a pas fait la démonstration ici.

La deuxième partie de l’analyse : le droit à l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones et la réglementation des services à l’enfance et à la famille

Pour le procureur général du Québec, la gouvernance autochtone doit découler de délégations législatives, d’ententes entre gouvernements et peuples autochtones ou d’une modification constitutionnelle. Selon lui, l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 ne reconnaît pas de droit à l’autonomie gouvernementale. Si cependant la Cour devait conclure que tel n’est pas le cas, seuls les tribunaux, et non le Parlement, pourraient se prononcer en ce sens. Avec la Loi, le Parlement ajoute à l’art. 35 et, ce faisant, il usurpe le rôle des tribunaux.

Le renvoi concerne donc la portée de cette disposition et soulève la question de savoir si un éventuel droit à l’autonomie gouvernementale en matière de services à l’enfance et aux familles est « générique » ou, au contraire, spécifique à chaque peuple autochtone et susceptible de varier d’un peuple à un autre.

Selon l’approche préconisée par une certaine jurisprudence, la souveraineté qu’exerce la Couronne au Canada est constitutionnellement incompatible avec un tel droit ancestral. Le serait aussi le partage des compétences législatives entre les gouvernements fédéral et provinciaux. Si la gouvernance autochtone peut être souhaitable au plan politique, elle relève d’un choix législatif. Selon l’approche rivale, les peuples autochtones ont toujours maintenu une forme d’autonomie gouvernementale découlant de leur souveraineté initiale sur le territoire. Ce droit ancestral est aujourd’hui enchâssé par l’art. 35.

Pour les motifs qui suivent, et sous réserve des importantes nuances apportées plus loin, il faut désormais retenir ce second point de vue. Cette conclusion, qui découle de l’histoire des relations entre la Couronne et les peuples autochtones, a aussi une assise dans la jurisprudence interprétée à la lumière de l’histoire.

Il est acquis de nos jours que l’autonomie des peuples autochtones était ici reconnue de facto, voire de jure, jusqu’au cours du 19e siècle. Ce fait crucial trouvait déjà écho dans la Proclamation royale de 1763. Se fondant en partie sur cette dernière, la Cour suprême des États-Unis a développé entre 1823 et 1832 deux doctrines sur la situation des Autochtones (domestic dependent nation et residual aboriginal sovereignty) dans trois arrêts souvent cités par la jurisprudence canadienne. Ces doctrines découlent d’un droit historique de se gouverner soi-même et elles postulent la bienveillance du souverain, deux notions consacrées en common law. L’indépendance dont ont longtemps joui les peuples autochtones et les nombreux traités conclus avec eux avant comme après 1763 attestent d’une réalité comparable au Canada. Ce n’est que tardivement qu’une politique de déplacement, de sédentarisation et d’assimilation des Autochtones s’est substituée à l’état de fait initial, entraînant les ravages constatés plus tard par plusieurs commissions d’enquête. Pourtant, des pans entiers du droit coutumier autochtone demeuraient intacts, comme en matière de mariage ou d’adoption.

Si l’on s’arrête sur la jurisprudence canadienne qui traite de l’autonomie gouvernementale autochtone, il faut d’abord remonter à l’arrêt Calder (1973) sur l’origine du titre ancestral. Cet arrêt mena à la Politique sur les revendications territoriales globales, déjà évoquée ici, et aux accords qui en découlèrent : or, ceux-ci reconnaissent aux peuples autochtones des compétences dans la gestion de leurs territoires traditionnels. Vinrent ensuite la réforme apportée par la Loi constitutionnelle de 1982 et, dans sa foulée, les tentatives de moduler les droits ancestraux de l’art. 35 lors de conférences constitutionnelles qui demeurèrent infructueuses.

L’arrêt Sparrow (1990) a fermement écarté la thèse selon laquelle l’art. 35 n’était qu’un préambule à de futures négociations constitutionnelles. Il a exposé en quoi pouvait consister un droit « existant » et « ancestral », ainsi que les conditions dans lesquelles un gouvernement pouvait légitimement procéder à sa réglementation. L’arrêt Van der Peet (1996), qui s’inspire de trois arrêts de la Cour suprême des États-Unis rendus entre 1823 et 1832, s’est ensuite penché sur le cadre juridique permettant la reconnaissance d’un droit ancestral. Il s’agit de concilier la préexistence des sociétés autochtones et la souveraineté de la Couronne en se fiant au critère et aux facteurs énumérés par la Cour suprême du Canada. D’autres précisions furent apportées par l’arrêt Pamajewon (1996).

L’affaire Delgamuukw souleva simultanément la question du titre ancestral et celle de l’autonomie gouvernementale et elle parvint devant la Cour suprême du Canada en 1997. Auparavant, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, siégeant à cinq juges, avait eu l’occasion de se prononcer sur le sujet dans des motifs riches d’enseignements. Trois des juges rejetèrent les prétentions relatives au titre ancestral et à l’autonomie gouvernementale. Deux autres, en dissidence, reconnurent l’existence d’un droit inhérent à l’autonomie gouvernementale. En Cour suprême, le débat devait bifurquer : sur la question du titre ancestral, l’arrêt infléchit sensiblement l’analyse de l’arrêt Van der Peet, mais la Cour refuse de se prononcer sur la question du droit à l’autonomie gouvernementale en raison des insuffisances du dossier tel qu’il s’était instruit en première instance. D’autres repères existent en jurisprudence, mais la question de l’autonomie gouvernementale demeure ouverte. Cela dit, l’ajustement apporté aux critères de l’arrêt Van der Peet permet de penser que l’hypothèse d’un droit générique à l’autonomie gouvernementale demeure viable.

Le droit à l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones a aussi été l’objet d’initiatives politiques importantes. Ainsi, dans leur ensemble, les intervenants dans l’Accord de Charlottetown de 1992 reconnaissaient l’existence d’un tel droit. L’échec de cet Accord fut suivi en 1995 de la Politique sur l’autonomie gouvernementale du gouvernement fédéral qui, tout en reconnaissant ce même droit, favorisait une logique de négociation. Au plan international, la Déclaration des Nations Unies de 2007 sur les droits des peuples autochtones affirme l’existence d’un droit à l’autodétermination des peuples autochtones. En outre, dans les écrits de doctrine au Canada, les auteurs estiment très majoritairement que l’art. 35 confirme l’existence d’un droit à l’autonomie gouvernementale.

Le procureur général du Québec a raison de soutenir que la Partie II de la Loi repose sur la prémisse que l’art. 35 reconnaît le droit à l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones. Mais il a tort lorsqu’il prétend que le Parlement, ici, a ajouté au contenu de l’art. 35, que la Loi est invalide en l’absence d’une modification constitutionnelle et que, en tout état de cause, il suffit pour la Cour de constater l’inconstitutionnalité de cette partie de la Loi sans qu’il soit nécessaire pour elle de déterminer si l’art. 35 confirme bel et bien l’existence du droit en question. Le Parlement, en effet, peut légiférer en fonction de ce qu’énonce la Constitution et il n’est pas tenu, avant d’agir, de recourir chaque fois à la procédure de renvoi. En dernière analyse, cependant, il revient aux tribunaux d’évaluer au regard de la Constitution le bien-fondé du choix législatif qu’il a fait. Cela implique nécessairement que la Cour doit considérer la portée des droits ancestraux visés par l’art. 35 pour juger de la validité de la Loi. Si ces droits ancestraux ne comprennent pas un droit à l’autonomie gouvernementale en matière de services à l’enfance et aux familles, cette partie de la Loi doit être déclarée ultra vires. Si ce droit est visé par l’art. 35, il faut décider si le cadre fixé par la Loi pour circonscrire l’exercice du droit à l’autonomie est lui-même constitutionnellement valide.

Faut-il conclure à une incompatibilité de la Loi avec la notion de souveraineté canadienne ou encore avec celle de l’exhaustivité des compétences législatives fédérales et provinciales? Sur le premier point, on sait qu’après 1763, les peuples autochtones continuaient de vivre en sociétés organisées et distinctives possédant leurs propres structures sociales et politiques. Certes, avant l’entrée en vigueur de l’art. 35, la Couronne et le Parlement pouvaient, selon des modalités différentes, éteindre un droit ancestral. Cela nécessitait toutefois de leur part une intervention claire et non équivoque. Or, le dossier ne contient aucun acte pré-confédératif ni aucune loi du Parlement qui serait doté de cette caractéristique. Sur le second point, la Loi constitutionnelle de 1867 n’a pas conféré au Parlement et aux législatures provinciales une compétence exclusive sur l’ensemble du droit applicable au Canada : le maintien au Canada des lois impériales, de la prérogative royale et de la common law britannique le démontre. Le partage des compétences, dénué d’exhaustivité, ne peut avoir éteint le droit des peuples autochtones à se gouverner eux-mêmes là où il avait valeur de droit ancestral et où il est demeuré intact.

Pour les fins précises du renvoi, la question de l’existence ou non d’un droit ancestral à l’autonomie gouvernementale ne se pose que dans le champ spécifique des services à l’enfance et aux familles. L’objet central de l’art. 35 en est un de réconciliation et de préservation d’un espace constitutionnel permettant aux peuples autochtones de vivre comme peuples autochtones avec leur identité, leurs cultures et leurs valeurs à l’intérieur du cadre canadien. En tant que système normatif, le droit coutumier autochtone portant sur la famille et l’enfance figure parmi ces valeurs. Et la preuve versée au dossier par le procureur général du Canada démontre qu’ensemble, l’enfance et la famille constituent la principale courroie de transmission des marqueurs de l’identité autochtone. La réglementation par les peuples autochtones des services à l’enfance et aux familles est donc indissociable de leur identité et de leur épanouissement culturel.

Ce droit à l’autonomie gouvernementale est visé par l’art. 35 puisqu’il s’agit d’une forme de droit ancestral. Il est générique et il s’étend à tous les peuples autochtones, car il est intimement lié à leur continuité et leur survie culturelles. Par le passé, des entraves importantes, comme les écoles résidentielles, ont pu nuire à son exercice. Néanmoins, ces situations n’ont jamais été entérinées par le Parlement, qui n’a jamais montré par une loi claire et non équivoque son intention d’éteindre le droit en question.

L’arrêt Sparrow a explicité les conditions auxquelles un tel droit peut faire l’objet d’une réglementation gouvernementale. Ces conditions sont exigeantes pour les gouvernements. En cas d’incompatibilité entre ce droit et un aspect de la réglementation, le droit ancestral autochtone doit prévaloir, à moins que le gouvernement auteur de l’atteinte ne démontre qu’il poursuit un objectif public impérieux, que la réglementation est conforme aux principes de l’atteinte minimale et de la proportionnalité, et que la législation est respectueuse de l’honneur de la Couronne.

On notera que cette interprétation de l’art. 35, relative au droit à l’autonomie gouvernementale, paraît tout à fait conforme aux principes qu’énonce la Déclaration des Nations Unies.

Il y a lieu, enfin, de déterminer si le cadre établi par la Loi pour circonscrire l’exercice du droit ancestral ici en cause est lui-même constitutionnellement valide. Cela soulève trois questions qui concernent les contraintes que la Loi impose dans l’exercice du droit ancestral, le statut potentiel de la réglementation autochtone en tant que législation fédérale et la préséance donnée aux textes législatifs autochtones sur la législation provinciale.

Les contraintes imposées par la Loi concernent la priorité accordée à l’intérêt de l’enfant, la conformité aux normes nationales issues de la Loi elle-même et le respect des droits fondamentaux des individus. Il s’agit de prime abord d’objectifs impérieux et réels qui restreignent minimalement l’exercice du droit à l’autonomie, quoique des contestations pourront s’élever au cas par cas sur le sujet. La Loi prévoit aussi que la Charte canadienne s’applique à un corps dirigeant autochtone qui exerce pour un peuple autochtone son droit à l’autonomie gouvernementale. Mais, lue à la lumière de la jurisprudence sur l’art. 32 de la Charte, et compte tenu de l’art. 25 de la même Charte, on voit mal pourquoi cette contrainte serait inconstitutionnelle.

Lorsqu’un corps dirigeant autochtone tente de conclure un accord de coordination avec un gouvernement et que, conformément à la Loi, il adopte un texte législatif sur les services à l’enfance et aux familles, l’art. 21 de la Loi précise que ce texte a « force de loi à titre de loi fédérale ». Le but de cette disposition est de rendre la doctrine de la prépondérance fédérale applicable à un texte législatif autochtone. Dans cette mesure, la disposition modifie l’architecture fondamentale de la Constitution et elle est ultra vires. La doctrine de la prépondérance fédérale, qui vise à résoudre à certaines conditions les conflits irréconciliables entre lois fédérales et provinciales, ne concerne que les lois fédérales validement adoptées aux termes de l’art. 91 de la Loi constitutionnelle de 1867. Or, les textes législatifs dont il est question ici n’émanent pas du gouvernement fédéral mais des corps dirigeants autochtones, dans l’exercice du droit ancestral de leurs peuples à l’autonomie gouvernementale reconnu par l’art. 35. Seul ce dernier article, tel qu’interprété par les tribunaux, serait susceptible de conférer une préséance à de tels textes.

Il en va de même pour le par. 22(3) de la Loi. Celui-ci prévoit que les textes législatifs autochtones visés par l’art. 21, disposition auquel le par. 22(3) fait pendant, l’emportent sur toute disposition incompatible d’une loi provinciale. Dans l’exercice de la compétence prévue au par. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867, le Parlement peut certes réglementer un droit ancestral reconnu par l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, mais il ne peut par ce moyen conférer une priorité absolue à ce droit. Le par. 91(24) ne l’autorise en effet pas à dicter dans tous ses aspects la manière dont devront se comporter les provinces avec les peuples autochtones, pas davantage qu’il ne peut complètement les écarter. L’architecture constitutionnelle canadienne est édifiée sur la base de gouvernements coordonnés, et non subordonnés, dans le but de garantir à chacun une autonomie dans la poursuite de leurs objectifs. En conférant une priorité absolue au droit des peuples autochtones de réglementer les services à l’enfance et à la famille et en écartant le test de réconciliation qui est propre à l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, le par. 22(3) enfreint ce principe.

La jurisprudence récente de la Cour suprême du Canada confirme que la réglementation provinciale d’application générale peut s’appliquer au titre ancestral sur des terres. Cela n’est cependant possible que si l’atteinte résultant de cette réglementation peut se justifier selon le cadre d’analyse qui a désormais cours en vertu de l’art. 35. S’agissant du droit à l’autonomie gouvernementale en matière de services à l’enfance et aux familles, la même approche s’impose : elle seule, en effet, est conforme au paradigme constitutionnel fondé sur des objectifs de respect mutuel et de réconciliation entre les Autochtones, la Couronne et la société canadienne dans son ensemble. Par conséquent, quoiqu’ils s’appliquent ex proprio vigore aux Autochtones présents sur le territoire de la province, les régimes provinciaux de services à l’enfance et à la famille n’ont préséance sur la réglementation autochtone adoptée en vertu du droit ancestral à l’autonomie gouvernementale et ne peuvent l’écarter, en tout ou en partie, que s’ils satisfont le test de l’atteinte et de la réconciliation propre à l’art. 35.

La réponse à la question du renvoi est donc la suivante : la Loi est constitutionnelle, sauf pour l’art. 21 et le par. 22(3), qui ne le sont pas.

 

***[les notes de bas de pages n’ont pas été reproduites dans le présent sommaire, voir la version intégrale de l’Avis pour les consulter.]



Texte intégral de l’avis : Renvoi à la Cour d’appel du Québec relatif à la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis 

 

Le fil RSS de la Cour d'appel vous permet d'être informé des récentes mises à jour.

Un fil RSS vous permet de vous tenir informé des nouveautés publiées sur un site web. En vous abonnant, vous recevrez instantanément les dernières nouvelles associées à vos fils RSS et pourrez les consulter en tout temps.


Vous cherchez un jugement?

Les jugements rendus par la Cour d'appel du Québec depuis le 1er janvier 1986 sont disponibles gratuitement sur le site internet de la Société québécoise d'information juridique (SOQUIJ): citoyens.soquij.qc.ca

Une sélection de jugements plus anciens, soit depuis 1963, est disponible, avec abonnement, sur le site internet de SOQUIJ: soquij.qc.ca