Moore, Cournoyer, Baudouin
Appel d’un jugement de la Cour supérieure ayant accueilli en partie une demande en réclamation de dommages-intérêts. Accueilli.
Estimant que la rupture définitive du lien entre elle et son fils était imputable à des comportements aliénants du père, la mère a demandé que celui-ci soit condamné à lui verser 125 000 $ en dommages-intérêts. La juge de première instance a retenu que la responsabilité civile d’un parent pouvait être engagée en raison d’une faute dans l’exercice de l’autorité parentale et elle a conclu à la présence d’aliénation parentale, accordant 30 000 $ en dommages-intérêts à la mère.
Le principe établi dans Frame c. Smith (C.S. Can., 1987-09-17), SOQUIJ AZ-87111056, J.E. 87-1003, [1987] 2 R.C.S. 99, ne s’applique pas en l’espèce, alors que, contrairement aux principes de la common law, les droits de traditions civilistes d’inspiration française font reposer leur régime d’indemnisation sur une clause générale de responsabilité. Or, le législateur québécois n’a pas, à ce jour, écarté le recours en responsabilité civile en matière d'exercice de l'autorité parentale. En outre, les principes du droit civil et des arguments d’opportunité ne s’opposent pas à la reconnaissance d'une telle action; l’intérêt de l’enfant ne permet pas d’écarter juridiquement celle-ci dans l’économie du droit civil québécois, à défaut d’une intervention du législateur en ce sens.
Par ailleurs, il convient de tracer strictement la nature et les limites du recours en responsabilité dans un tel cadre. Afin d’établir le seuil constitutif de faute, il convient d’abord d’écarter la seule violation de l’article 600 du Code civil du Québec (L.Q. 1991, c. 64), c’est-à-dire l’exercice «unilatéral» de l’autorité parentale ou le refus de participer à une coparentalité efficiente. Il en va de même, et plus encore, d’une norme qui exigerait du parent un devoir d’agir activement à l’amélioration de la relation entre l’enfant et l’autre parent.
La faute ne peut non plus reposer sur la notion d’«aliénation parentale», un concept dont les contours ne sont pas précis. Il est plutôt préférable de cerner ce que pourrait être la faute dans le contexte de l’exercice de l’autorité parentale. En tenant compte du spectre relatif à l’aliénation parentale, la faute doit être réservée aux rares cas d’aliénation «pure» et caractérisée, sans présence aucune d’éloignement réaliste ou de conjonction de facteurs. Le seuil de l’acte fautif dans une situation où un parent allègue que l’autre parent a causé la rupture de toute relation avec l’enfant est donc très élevé. La faute repose sur la preuve de gestes et de propos généralement nombreux et systématiques, s’inscrivant dans la durée et desquels on peut constater l’existence d’une stratégie visant, sans motif justifié, à modifier la perception que l’enfant a de l’autre parent, entraînant ainsi, sur une base a priori permanente, une rupture de toute relation. La rupture découle entièrement du parent dit «aliénant». La causalité entre les comportements du parent et la décision de l’enfant de rompre toute relation avec l’autre parent fait partie intégrante de la faute. Enfin, le préjudice subi par l’autre parent et donnant droit à une indemnisation, généralement modique, ne peut porter atteinte à l’intérêt de l’enfant.
En l'espèce, la preuve n’établit pas une situation où les agissements du père sont à la source de la rupture de la relation, mais plutôt une dynamique familiale bien plus complexe. Il est question d’un éloignement réaliste, c’est-à-dire d’une dégradation progressive des liens en réaction aux comportements ou aux méthodes plus rigides de la mère. Pour sa part, le père n’a pas envenimé la situation, ses gestes et ses propos ayant plutôt eu pour objectif de rétablir le lien rompu.
Texte intégral de la décision : http://citoyens.soquij.qc.ca