Savard, Marcotte, Gagné
Appel d’un jugement de la Cour supérieure ayant rejeté une demande d’anonymat. Requête pour permission d’interjeter appel d’un jugement de la Cour supérieure ayant ordonné la communication de documents. Rejetés.
Le pourvoi s’inscrit dans le contexte d’une poursuite en diffamation contre les administratrices de l’association de personnes «Dis son nom» à la suite de la diffusion d’une liste de personnes présumées avoir commis des gestes à caractère sexuel contenant le nom de l’intimé. Les appelantes se pourvoient contre 2 ordonnances rendues par la Cour supérieure ayant rejeté la demande d’anonymat formulée par l’appelante A.A. et ayant ordonné la communication des dénonciations reçues par les appelantes de la part de victimes alléguées de gestes à caractère sexuel.
La juge de première instance a correctement appliqué le test établi dans Dagenais c. Société Radio-Canada (C.S. Can., 1994-12-08), SOQUIJ AZ-95111005, J.E. 95-30, [1994] 3 R.C.S. 835, et R. c. Mentuck (C.S. Can., 2001-11-15), 2001 CSC 76, SOQUIJ AZ-50104926, J.E. 2001-2142, [2001] 3 R.C.S. 442, tel que l’a récemment reformulé par la Cour suprême dans Sherman (Succession) c. Donovan (C.S. Can., 2021-06-11), 2021 CSC 25, SOQUIJ AZ-51772339, 2021EXP-1617. Dans ce dernier arrêt, la Cour suprême a rappelé que, lors de l’application du test des limites discrétionnaires à la publicité des débats judiciaires, il faut démontrer que l’intérêt public important est sérieusement menacé, tout en reconnaissant que la vie privée, prise en considération au regard de la dignité, peut transcender les intérêts individuels et constituer un intérêt public à protéger lorsqu’il est démontré que celui-ci est sérieusement menacé par la publicité des débats.
Les appelantes n’ont pas fait la démonstration d’une telle menace. L’appelante A.A. n’allègue pas avoir été agressée par l’intimé. Ce dernier la poursuit en dommages-intérêts pour atteinte à sa réputation en raison de son rôle d’administratrice de «Dis son nom», et non à titre de dénonciatrice d’abus qu’il aurait commis à son endroit ni pour la dissuader de porter plainte contre lui. La juge n’a pas commis d’erreur en soulignant que les faits entourant les agressions sexuelles dont A.A. aurait été victime – et que cette dernière a choisi de relater – ne sont pas essentiels à l’argument principal de sa défense, qui consiste à invoquer l’intérêt public de dénoncer les agressions vécues par d’autres. Les déclarations d'A.A. ne suffisent pas pour soutenir l’existence d’un préjudice objectif discernable dans le contexte de l’affaire ni celle d’un intérêt public sérieux à protéger un droit à la dignité. La pertinence des faits allégués par A.A. s’avère relative, dans la mesure où la procédure engagée contre elle lui reproche son manque de diligence dans le cadre de la vérification de la véracité et de la fiabilité des dénonciations qu’elle a entrepris de diffuser sur le site Web de «Dis son nom». La première étape du test visant à démontrer la présence d’un risque sérieux pour un intérêt public de confidentialité important n’ayant pas été franchie, la juge de première instance n’a pas erré en refusant de rendre l’ordonnance d’anonymat.
Il n’est pas opportun d’accorder la permission d’interjeter appel de l’ordonnance de communication des dénonciations. La juge a ordonné la transmission des dénonciations et le caviardage des noms sur la base du principe de la pertinence. La question de la pertinence pour ordonner ou refuser la communication de la preuve aux fins des interrogatoires au préalable n’est pas une question de droit nouvelle ni de droit public ou substantiel. En outre, les mesures prises par la juge pour préserver l’anonymat des victimes alléguées font qu’il n’est pas non plus nécessaire de trancher immédiatement la question en jeu.
Texte intégral de l’arrêt : http://citoyens.soquij.qc.ca