Cour d'appel du Québec

Allocution de la Juge en chef du Québec à l'occasion de la rentrée judiciaire

Vous retrouverez ci-dessous l'allocution prononcée par la Juge en chef du Québec à l'occasion de la rentrée judiciaire:

 

Distingués invités, distinguished guests,

Me Laguerre, je vous remercie pour votre invitation. C'est avec plaisir que je prends la parole à l’occasion de la rentrée des tribunaux du Barreau de Montréal, un peu plus d’un an après mon entrée en fonction à titre de juge en chef du Québec. Et quelle année ce fut, alors que tous ensemble, nous faisions face à une situation inédite.

L’année dernière à pareille date, dans un élan de positivisme, je terminais mon allocution de la rentrée en nous souhaitant une année sans deuxième vague. Mon souhait n’a malheureusement pas été exaucé! Un an et trois vagues plus tard, nous nageons toujours!

Mais c’est fort de l’expérience de cette dernière année que nous entamons la prochaine année judiciaire, et c’est justement ce dont j’aimerais vous entretenir, en vous proposant trois thèmes qui permettront de cerner ce qu’elle nous réserve : Enthousiasme; Confiance; et Détermination.

Parlons d’abord de l’enthousiasme avec lequel nous pouvons aborder la rentrée judiciaire.

En mars 2020, la justice a vécu la crise sanitaire dans un contexte d’urgence. Pour y faire face, d’importantes ressources ont été mobilisées, révélant la force de nos efforts collectifs. Nul doute que ceux-ci ont porté fruit.

Au cours de la dernière année, l’usage des moyens technologiques au sein des activités judiciaires est devenu la norme. Les solutions mises en place devant la nécessité de rendre justice à distance, qui étaient au départ envisagées comme temporaires, se sont installées pour rester.

Ces avancées technologiques ont permis aux tribunaux judiciaires de poursuivre de façon diligente et efficace leurs activités. Le personnel des tribunaux, les membres du barreau, les justiciables, les juges et le personnel du ministère de la Justice ont tous contribué à ce succès. Nous pouvons le dire haut et fort : Bravo à tous!

Un tel succès ne peut qu’être source d’enthousiasme à l’aube de la prochaine année judiciaire. Enthousiasme à poursuivre les travaux en lien avec la modernisation du système de justice.

Mais la transformation de la justice va bien au-delà de ces seules avancées technologiques. La volonté de changement touche non seulement les moyens et les ressources opérationnelles de la justice, mais aussi certaines de ses valeurs fondamentales, lesquelles sont remises en question sur le terrain politique et social.

L’an dernier, en pareille occasion, je disais que toute réforme viable à long terme devait soutenir la confiance du public envers le système judiciaire. Je suis toujours du même avis. Et c’est là le deuxième thème que je vous propose pour la prochaine année judiciaire : la confiance.

Notre système de justice est reconnu à travers le monde comme étant un modèle d’institutions sophistiquées, transparentes, équitables et protégeant la règle de droit. Malgré tout, on ne peut ignorer que depuis plusieurs décennies déjà, de nombreuses voix s’élèvent pour décrier les déficiences du système de justice conventionnel. Délais, coûts et complexité des procédures judiciaires empêchent une majorité de citoyens d’accéder aux portes de la justice. La pandémie a sans contredit accentué ces problèmes, notamment pour les communautés autochtones en région éloignée où les tribunaux n’ont pas siégé pendant longtemps en raison des contraintes sanitaires.

À ces critiques, s’ajoute depuis peu une remise en question du processus contradictoire, où le procès demeure un lieu emblématique du processus judiciaire. Plusieurs voix réclament des changements fondamentaux, notamment en matière de jeunesse ou de violences sexuelles et conjugales. Le ministre de la Justice du Québec a d’ailleurs annoncé le dépôt à l’automne d’un projet de loi visant à répondre à ces critiques dans ce dernier domaine.

Que je sois bien comprise : toute mesure visant à améliorer l’accès à la justice, lequel doit être compris comme étant beaucoup plus large que le seul accès aux tribunaux judiciaires, ne peut qu’être applaudie. Les nouveaux moyens technologiques nous permettent déjà d’innover dans l’offre d’informations juridiques à l’extérieur du système de justice formel. Les mécanismes alternatifs de règlement des différends font également déjà partie de la solution.

Toutefois, ici, comme en matière de changement technologique, c’est la recherche du juste équilibre qui doit nous guider. Nous devons réfléchir aux transformations nécessaires pour que la population puisse se reconnaître dans notre système de justice et lui accorder sa confiance.

Après douze ans au service de la magistrature, et plus de vingt ans au Barreau, je demeure profondément convaincue du bien-fondé des principes et des valeurs fondamentales de la justice tels qu’on les exprime encore : la primauté du droit; l’indépendance, l’impartialité et l’intégrité de la magistrature; le droit du justiciable d’être entendu; la présomption d’innocence; le droit à une défense pleine et entière; le rôle des tribunaux judiciaires dans la résolution pacifique des différends. Ces principes et valeurs sont le socle sur lequel s’appuie, à juste titre, la confiance du public. Leur importance et leur pertinence méritent d’être éclaircies et mieux communiquées aux citoyens dans le contexte actuel de remise en question sociale.

Le fonctionnement des tribunaux judiciaires est perfectible, et je consacre une bonne part de mon énergie, comme mes collègues de la magistrature et les membres des divers barreaux, à faire en sorte que la justice civile et la justice criminelle et pénale puissent continuer de jouer leur rôle dans notre vie démocratique. Ce n’est pas un rôle banal ni marginal.

Tous les jours, les tribunaux judiciaires tranchent des questions qui affectent des aspects profondément intimes et fondamentaux de la vie des justiciables.

Tous les jours, les tribunaux offrent un forum où les justiciables peuvent trouver protection contre les abus de pouvoir, qu’ils soient le fait de puissants acteurs privés ou de l’administration publique.

Tous les jours, les juges donnent vie aux textes législatifs et réglementaires, dans une recherche impartiale de l’intention du législateur et dans le respect des valeurs de notre société.

Le pouvoir judiciaire, dans son essence, n’est pas voué à disparaître dans la transition moderne de la justice. Il demeure un pilier de notre société. Bien que les façons de faire des tribunaux puissent et doivent être repensées et améliorées dans un contexte socioculturel changeant, leur rôle demeure essentiel.

Chacun et chacune d’entre nous est responsable de la manière dont ce système est perçu par la population. Ce qu’on dit sur le travail des tribunaux, les commentaires qu’on exprime sur leurs jugements, l’évaluation que l’on fait des forces et des faiblesses du travail des avocats et du processus judiciaire, tout cela contribue à structurer l’opinion de la population. La critique de nos institutions est essentielle, la transformation de la justice est nécessaire, et l’on devrait pouvoir y parvenir en préservant les valeurs qui servent d’assises à la justice depuis quelques siècles déjà. Il nous revient de maintenir la confiance du public envers nos institutions.

This brings me to the third and last theme that should drive this new judicial year: determination.

Our modern societies face many challenges that inevitably spill over into the judicial system and the professional orders. Among those challenges are diversity and inclusion, and we must strive to implement the means for ensuring that justice belongs to everyone, without discrimination.

In recent years, we have made progress in terms of diversification within our communities and in our collective awareness of the realities experienced by individuals from ethnic and cultural minorities. However, we still have a long way to go to make genuine equality a reality within our society. This is also true of our law faculties, our profession and our institutions.

Face à ces enjeux, nous devons tous contribuer à la recherche de solutions. La détermination doit être le pivot de cette réflexion collective qui s’inscrit, faut-il le reconnaître, dans un débat de société beaucoup plus large. Mais ce n’est pas parce que le défi est de taille qu’il ne faut pas s’y attaquer.

Je termine en soulignant que chacun des sujets abordés aujourd’hui, l’enthousiasme, la confiance et la détermination, s’entrecoupent puisqu’ils ont tous un point en commun : le changement. Le changement requis pour maintenir les activités judiciaires en période de pandémie et l’enthousiasme qui découle de ce succès. Les changements qui seront requis pour maintenir la confiance du public envers notre système de justice et ceux qui résulteront de notre détermination face aux enjeux auxquels nous devons nous attaquer.

Mais bien que le changement rime avec incertitude, essais et erreurs, et qu’il perturbe nos habitudes, il est inévitable et ne peut être que positif si l’on s’y attarde ensemble, avec volonté et vision. Soyons donc visionnaires et solidaires comme nous l’avons été au cours des dix-huit derniers mois.

Sur ce, je vous souhaite à toutes et tous une excellente année judiciaire! I wish you all a great judicial year!

Merci.

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