Cour d'appel du Québec

Versailles c. R.

Marcotte, Sansfaçon, Kalichman

Appel de la peine. Accueilli à la seule fin de substituer à la peine d’emprisonnement imposée un emprisonnement avec sursis, d’une durée de 10 mois, assorti de certaines conditions.

L'appelant interjette appel du jugement lui ayant imposé une peine d'emprisonnement de 10 mois suivie de 2 ans de probation pour culture illégale de cannabis, possession de cocaïne et possession d’amphétamines.

L'appelant a fait valoir qu'une peine plus clémente était justifiée puisque sa consommation de cannabis visait des fins thérapeutiques. Il a ainsi fait référence à un certificat de Santé Canada délivré après les accusations et l’autorisant à cultiver jusqu'à 195 plants de cannabis. Le juge de première instance a alors suggéré la possibilité de faire entendre un expert en pharmacologie qui avait récemment témoigné devant lui dans le cadre d’un autre procès (R. c. Drapeau (C.Q., 2019-06-21), 2019 QCCQ 3744, SOQUIJ AZ-51607138, confirmé par Drapeau c. R. (C.A., 2020-06-12), 2020 QCCA 796, SOQUIJ AZ-51691105, 2020EXP-1598), conformément à l’article 723 du Code criminel (L.R.C. 1985, c. C-46) (C.Cr.), afin que celui-ci exprime son opinion sur la quantité de cannabis requise pour subvenir à des besoins thérapeutiques ou que la transcription du témoignage de cet expert soit produite en preuve. Il a également évoqué la possibilité d'appeler un second expert sur la question de la capacité de production d'une serre comme celle de l'appelant. Malgré l’opposition de l’avocat de l’appelant, le juge a fait entendre ces 2 témoins et, sur la base de ces témoignages, il a exclu la possibilité que la culture de l'appelant visait des fins thérapeutiques.

M. le juge Kalichman: Dans l'exercice du pouvoir prévu à l’article 723 C.Cr., le juge ne doit pas perdre de vue que le processus criminel demeure contradictoire. Ainsi, avant d'exiger la présentation d’une preuve, le juge devrait consulter les parties quant aux éléments recherchés et à leur pertinence, tout en leur offrant la possibilité de la présenter elles-mêmes. En l’espèce, l'examen des circonstances dans lesquelles le juge a exigé une preuve additionnelle soulève une crainte raisonnable de partialité. Celui-ci n’a pas signalé aux parties que le témoignage d’expert qu’il proposait de verser au dossier allait miner l'argument de l'appelant quant à l'usage thérapeutique. Dans l'affaire Drapeau, le juge s’est appuyé sur le témoignage de ce même expert pour rejeter un argument similaire de l'accusé. L'appelant ne connaissait pas l'effet de ce témoignage, contrairement au juge. Or, celui-ci ne l’a pas divulgué. En l'occurrence, la suggestion du juge était assimilable à une embuscade.

Il y a une différence importante entre établir la nécessité d'une preuve supplémentaire sur une question à trancher et mener le processus afin de parvenir à un résultat particulier. En l’espèce, la conduite du juge laissait penser qu'il avait adopté une position contraire aux intérêts de l'appelant et visant un but précis, soit de contredire la thèse de la consommation à des fins médicales. De plus, la manière d'administrer la preuve additionnelle est également discutable puisque la façon dont les témoins appelés par le juge ont été entendus s'apparentait à une enquête. Non seulement le juge a pris en charge l'administration de la preuve, en procédant lui-même à l’interrogatoire des témoins, mais il a en outre abordé des sujets qui n'avaient pas été discutés au préalable avec les parties et qui n'avaient au mieux qu'un rapport indirect avec les questions en litige. Il se dégage du jugement de première instance l’impression que le juge poursuivait un but qui allait au-delà du débat tel qu’il avait été engagé par les parties, ce qui soulève encore une fois une crainte de partialité. De plus, le comportement du juge est incompatible avec l'application correcte de l'article 723 C.Cr. et constitue une erreur de principe, laquelle a eu une incidence sur la peine prononcée.

Mme la juge Marcotte: Même si l’ancienne version de l’article 742.1 C.Cr., en vigueur lors du jugement, ne permettait pas l’emprisonnement avec sursis pour des crimes passibles d’un emprisonnement maximal de 14 ans, comme le fait de cultiver du cannabis, cette restriction législative a été retirée depuis, de sorte que l’appelant peut maintenant en bénéficier. Il faut tenir compte de la possibilité de sanctions moins contraignantes (art. 718.2 d) C.Cr.)) et du principe de modération dans le recours à l’emprisonnement. Le juge a énuméré sans les retenir les conséquences indirectes susceptibles de découler d’une peine d’emprisonnement, soit la perte d’emploi et de revenu de même que les répercussions de l'incarcération sur la garde partagée exercée par l'appelant. Alors que le juge a estimé que ces conséquences étaient le résultat du choix mal avisé de l'appelant de cultiver le cannabis dans sa résidence, la Cour aurait dû en tenir compte.

 

Texte intégral de l’arrêt : http://citoyens.soquij.qc.ca

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