Cour d'appel du Québec

Services maritimes Québec inc. c. Procureur général du Québec

Gagnon, Ruel, Lavallée

Appel d’un jugement de la Cour supérieure ayant infirmé un jugement de la Cour du Québec qui a déclaré les articles 16, 116 et 117 de la Loi sur la sécurité privée (RLRQ, c. S-3.5) inapplicables et inopérants à l'égard des appelants. Rejeté, avec dissidence.

L’appelante est une entreprise exerçant ses activités dans le domaine du débardage maritime. L’appelant y exerce les fonctions de gardien de sécurité. La Cour du Québec a acquitté ces derniers d’infractions prévues à la Loi sur la sécurité privée après avoir conclu que les dispositions de cette loi étaient inapplicables et inopérantes à leur égard. La Cour supérieure, qui siégeait en appel, a infirmé ce jugement en concluant que les doctrines de l’exclusivité des compétences et de la prépondérance fédérale ne s’appliquaient pas en l’espèce. Les appelants font valoir que le juge d’appel a erré dans l’application de la norme d’intervention ainsi que dans son analyse des doctrines constitutionnelles.

La norme de contrôle applicable dans les affaires d’interprétation constitutionnelle est celle de la décision correcte. La déférence s’impose à l’égard des conclusions factuelles sous-jacentes à l’analyse constitutionnelle lorsqu’elles peuvent être traitées isolément. Le juge d’appel n’a pas confondu la doctrine de l’exclusivité des compétences avec celles du caractère véritable ou du double aspect. Il savait que la validité constitutionnelle de la Loi sur la sécurité privée n’était pas contestée et que seule son applicabilité aux activités maritimes de l’appelante en vertu de la doctrine de l’exclusivité des compétences était en litige. Son analyse a respecté la démarche préconisée dans Transport Desgagnés inc. c. Wärtsilä Canada Inc. (C.S. Can., 2019-11-28), 2019 CSC 58, SOQUIJ AZ-51648348, 2019EXP-3251, [2019] 4 R.C.S. 228.

L’inexistence d’un précédent concernant l’application de la doctrine de l'exclusivité des compétences en matière de sécurité d'une installation maritime n’empêche pas l’application de cette doctrine et ne suffit pas à infirmer le jugement de la Cour supérieure. Une large part des activités de l’appelante concernent la sûreté du transport et des installations maritimes, ce qui est au cœur de la compétence fédérale. Le régime mis en place par la Loi sur la sécurité privée en ce qui a trait au permis d’agent ne permet pas au Bureau de la sécurité privée de dicter de façon discrétionnaire la manière dont un agent de sécurité doit exercer ses fonctions. Il vise plutôt à s’assurer que les titulaires de ce permis respectent des normes comportementales élémentaires et générales. Ces exigences ne sont pas susceptibles d’interférer de manière importante avec la compétence fédérale. Elles visent la protection du public et n’ont pas de conséquences sur le travail et les responsabilités de l’agent de sûreté maritime ou de tout autre membre du personnel de l’installation maritime.

Selon l’interprétation de l’article 16 alinéa 2 de la Loi sur la sécurité privée, un débardeur qui devrait momentanément exercer des tâches de gardiennage n’aurait pas besoin d’un permis d’agent de sécurité puisqu’il ne s’agit pas de son activité principale. En revanche, la loi provinciale exige que l’appelant possède un permis puisqu’il est un agent de sécurité qui gère l’accès à l’installation maritime. Il n’est pas un débardeur et n’exerce lui-même aucune activité de débardage. Le juge d’appel n’a pas erré dans son analyse de la doctrine de l’exclusivité des compétences. Les dispositions attaquées ne créent pas une atteinte grave ou importante à la compétence fédérale. Elles sont donc applicables aux appelants. Le fait d'obliger l’appelante à se conformer aux exigences imposées aux agents de sécurité qu’elle emploie ne constitue pas une entrave aux éléments vitaux et essentiels de la compétence fédérale. La réception dans l’ordre juridique canadien de conventions internationales relatives au domaine de la sûreté maritime ne peut élargir unilatéralement la portée de la compétence législative en la matière. Ce n’est pas parce que le Parlement a légiféré à cet égard que cela suffit à démontrer une entrave.

Pour ce qui est de la doctrine de la prépondérance fédérale, l’argument des appelants suivant lequel le conflit d'objet découle du fait que la Loi sur la sécurité privée vise la sécurité privée, alors que la législation fédérale vise plutôt la sécurité publique, revient à plaider le champ occupé. Or, ce n'est pas parce qu'un corpus de réglementation publique existe qu'un corpus de réglementation privée ne peut s'y juxtaposer, s'il n'entrave pas sa finalité. En l'absence d'une preuve de cette entrave, l'argument ne résiste pas à l'analyse. La loi provinciale ne contrecarre pas la réalisation de l’objet de la loi fédérale. La législation fédérale en matière de sûreté du transport maritime n’est pas compromise par l’adoption des règles provinciales attaquées. Celles-ci se juxtaposent aux règles fédérales sans entrer en conflit avec elles et les favorisent même.

Le juge Ruel, dissident, aurait accueilli l’appel. Sa dissidence porte sur le champ d’application de la Loi sur la sécurité privée et de la doctrine de l’exclusivité des compétences.

Législation interprétée : articles 16, 116 et 117 de la Loi sur la sécurité privée



Texte intégral de l’arrêt : http://citoyens.soquij.qc.ca

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