Cour d'appel du Québec

Sa majesté le Roi c. Jacques Delisle

Vauclair, Cournoyer, Lavallée

Requête en rejet d’appel. Rejetée. Appel d’un jugement de la Cour supérieure ayant accueilli une requête en arrêt des procédures. Accueilli; l’arrêt des procédures est annulé et le dossier est retourné à la Cour supérieure pour la continuation des procédures.

Le 14 juin 2012, l’intimé a été déclaré coupable sous le chef d’accusation de meurtre au premier degré de son épouse, qui est décédée d'un tir à la tête. L'intimé a ensuite épuisé tous ses droits d'appel, sans succès. En 2015, il a déposé une demande de révision en vertu de la partie XXI.1 (art. 696.1 à 696.6) du Code criminel (L.R.C. 1985, c. C-46). Au terme d'une révision effectuée par des experts, le ministre de la Justice du Canada, convaincu de l'existence de motifs raisonnables permettant de conclure qu'une erreur judiciaire s'était probablement produite, a ordonné la tenue d'un nouveau procès.

Le 8 avril 2022, la Cour supérieure a prononcé l’arrêt des procédures, le juge de première instance ayant estimé que l’État avait manqué à son obligation de conservation et de documentation d’éléments de preuve utiles pour déterminer la trajectoire du projectile dans le cerveau de la victime. La «preuve perdue» tire son origine de l’autopsie. Lors de l’examen du cerveau, le pathologiste n’a pas conservé les coupes effectuées et celles-ci n’ont pas été documentées ou photographiées. Des prélèvements faits, un seul montrait le passage du projectile, mais le pathologiste ne l’avait pas adéquatement localisé. Le juge a conclu que ce manquement privait l'intimé de ses droits à une défense pleine et entière et à un procès équitable.

Les cas où il est possible de prononcer une telle réparation, et au surplus à ce stade préliminaire, sont rares. En l'espèce, le juge n’a pas erré en estimant que la preuve perdue était pertinente et importante et que sa perte résultait d’une négligence inacceptable de l’État ni en concluant que la destruction de cette preuve avait compromis le droit à une défense pleine et entière de l’intimé. Toutefois, il a erré quant au caractère déterminant de la preuve perdue, un résultat irréconciliable avec sa propre conclusion sur la portée des expertises, et en concluant que le préjudice était irrémédiable. En effet, l’impossibilité de démontrer avec certitude la trajectoire du projectile ne peut être, en soi, une atteinte irrémédiable au droit à une défense pleine et entière. Le droit à l’arrêt des procédures exige une approche beaucoup plus nuancée en ce qui a trait à l'effet de la preuve perdue. La jurisprudence établit que l’arrêt des procédures n’est pas la réparation appropriée si l’accusé peut néanmoins présenter adéquatement les faits qui soutiennent sa défense.

Or, malgré les défaillances du dossier d’autopsie, les experts ont fait la démonstration qu’il est possible de présenter, au sujet de la trajectoire du projectile, une preuve probante contraire à celle du pathologiste qui a procédé à l’autopsie initiale. Ainsi, l’intimé, dans le contexte d’une preuve d’experts, n’est pas privé de présenter une preuve contraire sur la trajectoire du projectile susceptible de soulever un doute raisonnable.

Le juge a également erré en concluant que le préjudice ne pouvait être réparé autrement que par l’arrêt des procédures. En effet, un préjudice qui n’est pas irrémédiable ne peut pas constituer l'un des cas rares considérés comme les plus manifestes pour justifier cette réparation. Le juge a omis d’envisager la possibilité d’une directive au jury pour indiquer l’opportunité dont l’intimé était privé en raison de la preuve perdue. Dans le présent dossier, la Cour est d’avis qu’une telle directive pourrait constituer une réparation juste et raisonnable.

 

Texte intégral de l’arrêt : http://citoyens.soquij.qc.ca

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