Cour d'appel du Québec

Province canadienne de la Congrégation de Sainte-Croix c. J.J.

Ruel, Moore, Kalichman

Appel d'un jugement de la Cour supérieure ayant accueilli en partie une demande en radiation d'allégations et en retrait de pièces. Requête pour permission de présenter une preuve nouvelle indispensable. Rejetés.

Dans le cadre d'une action collective autorisée à l'encontre de communautés religieuses au nom de victimes d'agressions sexuelles, l'intimé a introduit une demande en réclamation de dommages compensatoires et punitifs. Cette demande contient des allégations et des pièces qui démontreraient que les appelantes étaient au courant des agressions sexuelles à l’époque où elles se produisaient et qu'elles ont tenté de les camoufler. Les plus importantes de ces pièces à l'appui des allégations sont 3 lettres d'un avocat ayant été écrites entre 1990 et 2006. Celles-ci ont fait l'objet de reportages dans les médias à partir de 2010, notamment lors d’un épisode de l’émission Enquête diffusé par Radio-Canada. Par ailleurs, des articles de journaux en ligne contiennent des hyperliens qui permettent au public, encore à ce jour, de télécharger les lettres.

Le juge de première instance a rejeté la demande des appelantes en radiation d'allégations et en retrait de pièces relativement aux lettres en litige et aux reportages qui y font référence. L'appel ne soulève que 1 seule question: le juge a-t-il commis une erreur en concluant que les lettres n’étaient pas protégées par le secret professionnel?

La jurisprudence reconnaît que les gestes du détenteur du secret professionnel – y compris ses écrits et ses paroles – peuvent entraîner la renonciation à ce privilège. En l'espèce, toutefois, ce ne sont pas les gestes qu’ont effectués les appelantes qui entraîneraient une telle renonciation, mais plutôt leur inaction.

Les appelantes ont invoqué le privilège du secret professionnel peu de temps après que l'intimé eut déposé la demande d’autorisation, en 2013. Or, les lettres ont été rendues publiques pour la première fois en 2010, puis en 2011, et il était dès lors possible d'accéder à leur contenu sur les sites Internet de La Presse et de Radio-Canada par des hyperliens. Entre-temps, les appelantes n'ont pris aucune mesure active pour tenter de faire valoir la confidentialité des lettres. D'ailleurs, les hyperliens en cause, qui constituent essentiellement des voies d'accès numériques aux pièces elles-mêmes, sont toujours accessibles. Or, cette inaction ne peut être justifiée par le simple fait de la diffusion du contenu des lettres sur Internet.

Les appelantes n'ont pas expliqué en quoi il serait futile de tenter d'empêcher La Presse ou Radio-Canada d'offrir à quiconque le moyen d'obtenir une copie des lettres en cliquant simplement sur un hyperlien. En l'absence d'une telle explication quant à l'omission de faire valoir leur privilège, il n'est pas possible de présumer qu'il serait inutile de prendre des mesures pour protéger la confidentialité des lettres. Au contraire, en l'espèce, le fait de ne pas avoir pris de mesures pendant plus de 10 ans afin d’empêcher le téléchargement de lettres pour lesquelles le secret professionnel est revendiqué entraîne une renonciation à ce privilège.

Bien que ce jugement ait été rendu dans une province de common law, le raisonnement retenu dans Federation of Newfoundland Indians Inc. v. Benoit (C.A. (T.-N.-L.), 2020-05-05), 2020 NLCA 16, SOQUIJ AZ-51685893, est transposable à la présente situation et renforce le point de vue selon lequel l'inaction du détenteur d'un privilège peut entraîner sa renonciation, à la condition qu'elle soit claire et sans équivoque.

 

Texte intégral de l’arrêt : http://citoyens.soquij.qc.ca

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