Cour d'appel du Québec

Lames Nordik (Usinage Pro-24) c. Hamel

Morissette, Levesque, Baudouin

Appel d’un jugement de la Cour supérieure ayant accueilli en partie une demande en jugement déclaratoire et en injonction permanente. Accueilli.

Les appelants soutiennent que la juge de première instance a erré en concluant que le système de lames niveleuses qu’ils commercialisent sous le nom «Nordik Move» contrevient au brevet canadien no 1 243 830 dont les intimés étaient titulaires. Ce brevet protège un système formé d’une pluralité de lames dont chacune peut automatiquement se déplacer de haut en bas en fonction des différents obstacles rencontrés sur la route. La juge a estimé que le système Nordik Move, qui reprend tous les éléments essentiels du brevet no 830, le contrefaisait.

Un tribunal amené à interpréter les revendications d’un brevet pour déterminer si l’invention qui fait l’objet de celui-ci a été ou non contrefaite par un autre produit doit: 1) d’abord interpréter la teneur des revendications; puis 2) établir les éléments essentiels du brevet dans l’invention du contrefacteur présumé. Par ailleurs, suivant les principes élaborés dans Improver Corp. v. Remington Consumer Products Ltd. (1989), [1990] 17 F.S.R. 181, le champ de protection d’un brevet est susceptible d’être influencé non seulement par les éléments dont la substitution modifierait le fonctionnement de l’invention, c’est-à-dire les éléments essentiels, mais aussi les éléments qui, aux yeux de la personne versée dans l’art à la date de la publication du brevet, pouvaient manifestement être substitués ou omis sans que cela modifie substantiellement le fonctionnement de l’invention, soit les éléments non essentiels et leurs variantes de substitution. Or, il ne faut pas que la détermination des éléments essentiels se fasse de manière complètement détachée des termes employés dans les revendications.

En l’espèce, la juge a commis une erreur de droit en fondant son analyse de la revendication sur l’objectif de l’invention, soit le mouvement vertical lorsque la lame rencontre un obstacle sur la route, plutôt que sur la manière d’arriver à cet objectif, c’est-à-dire le moyen ingénieux élaboré par l’inventeur pour y parvenir. La juge a également erré en effectuant une analyse pièce par pièce afin de déterminer si chaque élément pris isolément était essentiel ou non à l’objectif recherché et si une variante était susceptible de s'y substituer afin d’atteindre le résultat escompté, plutôt que de procéder à l’interprétation de la revendication selon une interprétation téléologique. Elle a ainsi perdu de vue les enseignements de l’arrêt Free World Trust c. Électro Santé inc. (C.S. Can., 2000-12-15), 2000 CSC 66, SOQUIJ AZ-50081726, J.E. 2001-89, [2000] 2 R.C.S. 1024, mais aussi la présomption d’essentialité des éléments d’une revendication.

En fait, la juge a incorrectement appliqué les principes de l’arrêt Improver Corp. et a erré en concluant que plusieurs des composantes du brevet, soit la partie supérieure de l’invention et le déflecteur, bien qu'elles soient décrites dans la revendication, ne constituaient pas des éléments essentiels. En effet, quant à la première exigence formulée dans Free World Trust, rien dans le texte de la revendication n’indique que l’inventeur a manifestement voulu que ces éléments soient qualifiés de non essentiels. Quant à la seconde exigence, qui correspond à la troisième question du test établi dans Improver Corp., elle est absente du raisonnement de la juge. Or, cette dernière a erré lorsqu’elle a négligé de considérer le caractère essentiel de la partie supérieure en ne faisant référence qu’au fait que cette partie pouvait prendre différentes formes et mettant de côté les termes employés dans la revendication. En qualifiant de non essentiels près de la moitié des éléments de la revendication qui, pourtant, y sont mentionnés et font partie intégrante de la fonctionnalité de l’invention décrite à la revendication, la juge a vidé de son sens cette dernière. Sans la partie supérieure, qualifiée de non essentielle par la juge, le brevet no 830 ne se résume qu’à quelques pièces mises ensemble, mais sans lien entre elles et ne pouvant accomplir l’objet de l’invention. Ainsi, n’eussent été ces erreurs d’interprétation, la juge aurait conclu à l’absence de contrefaçon puisque plusieurs des éléments essentiels du brevet no 830 étaient absents du système Nordik Move.

 

Texte intégral de l’arrêt : http://citoyens.soquij.qc.ca

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