Cour d'appel du Québec

Franchise MTY inc. c. Lechter (Édifice professionnel de Montréal)

Schrager, Moore, Weitzman

 

Appel d'un jugement de la Cour supérieure ayant accueilli une action en réclamation de loyer, de taxes et de pénalités contractuelles (222 464 $). Accueilli en partie (164 264 $).

Les parties étaient liées par un bail commercial ayant pour objet un local servant à l'exploitation d'un restaurant-café. Le bail devait prendre fin le 31 mars 2021, mais l'appelante Franchise MTY inc. a cessé l'exploitation de son café à la suite de l'adoption par le gouvernement du Québec, en mars 2020, de mesures sanitaires dans le contexte de la pandémie de la COVID-19.

Les appelantes font principalement valoir que ces décrets et arrêtés ministériels constituent un trouble de droit aux termes de l’article 1858 du Code civil du Québec (L.Q. 1991, c. 64) (C.C.Q.) puisqu'ils les ont privées de la jouissance des lieux, de sorte qu'elles étaient fondées, comme elles l'ont fait, à cesser de payer leur loyer. Elles soutiennent par ailleurs que l'application cumulée des 2 clauses pénales du bail rend celles-ci abusives.

Trouble de droit: mesures sanitaires

L'article 1858 C.C.Q. impose au locateur une obligation de garantie contre les troubles de droit apportés à la jouissance du bien loué. Cette garantie vise, d’abord et avant tout, à prémunir le locataire contre l’éviction par l’effet d’un tiers qui invoque un droit sur le bien loué. La jurisprudence et la doctrine ont cependant interprété cette disposition de manière à élargir la notion de «trouble de droit» pour inclure des actes de l’autorité publique ayant pour effet d’interdire l’utilisation des lieux à certaines fins, tels que les règlements de zonage.

Or, la nature de la limitation découlant des décrets sanitaires se distingue de celle d’un règlement de zonage. En effet, celui-ci se rapporte directement et exclusivement à l’immeuble, en lui imposant, de manière pérenne et directe -- à l’image d’un droit réel -- une limitation d’usage. Les décrets sanitaires visent plutôt à restreindre certaines activités de la population et les rassemblements dans le but de protéger la santé publique et non la gestion du bâti sur un territoire donné. S’ils ont des effets sur les immeubles, ce n’est que de façon accessoire.

D'autre part, l’extension des troubles de droit aux décrets sanitaires constituerait une rupture dans la nature même de cette notion, car ceux-ci ne constituent pas un trouble de nature «purement juridique», mais les conséquences d’une situation de pur fait, en l’occurrence la COVID-19, et l’urgence sanitaire qui en découlent. Certes, il ne s’agit pas non plus d’un trouble de fait, mais la nature de l’événement, son caractère ponctuel et le fait qu’il intervient postérieurement au contrat se conjuguent pour s’éloigner de ce que vise l’article 1858 C.C.Q. et le transformer en une disposition faisant reposer sur les épaules du locateur une gamme étendue de risques du contrat.

Une situation comme celle en l'espèce semble plutôt être régie par la notion de «force majeure» et l'obligation générale de jouissance des lieux prévue à l'article 1854 alinéa 1 C.C.Q.

Clauses pénales

La juge de première instance a commis une erreur manifeste et déterminante en concluant que la pénalité équivalant à 44 % des loyers de base, en plus du taux d’intérêt de 5,45 %, n'était pas abusive. Le fait que les clauses pénales aient été négociées n’empêche pas l’application de l’article 1623 C.C.Q., lequel s’applique à tout contrat et non aux seuls contrats d’adhésion. L'application de cette disposition ne repose pas sur la qualité du consentement, mais sur une considération d’équité contractuelle.

Par ailleurs, l'aspect comminatoire de ces clauses n'empêche pas la réduction de la pénalité dans la mesure où cette réduction préserve l’intention des parties et ne ramène pas la pénalité au seul préjudice, ce qui est le cas en l'espèce. Au surplus, les pénalités réclamées sont abusives dans les circonstances exceptionnelles liées à la crise sanitaire. Les pénalités sont donc réduites à un taux global de 15 %.

 

Législation interprétée: article 1858 C.C.Q.

 

Texte intégral de l’arrêt : http://citoyens.soquij.qc.ca

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