Cour d'appel du Québec

Desbiens c. Standish

Bich, Bachand, Kalichman

 

Appel d'un jugement de la Cour supérieure ayant accueilli une demande en irrecevabilité. Accueilli, avec dissidence.

Les appelants poursuivent en dommages-intérêts, en leur nom personnel et pour le compte de leur fils, les intimés en tant que parents de leurs filles mineures au motif que celles-ci ont porté des accusations mensongères d'agression sexuelle contre leur fils. Le présent recours a été intenté moins de 3 ans, mais plus de 1 an après l'acquittement de ce dernier. Les appelants réclament des dommages compensatoires ainsi que dommages punitifs pour atteinte à leurs droits protégés par l'article 4 de la Charte des droits et libertés de la personne (RLRQ, c. C-12). La juge de première instance a conclu qu'il s'agit d'une action fondée sur une atteinte à la réputation visée par l'article 2929 du Code civil du Québec (L.Q. 1991, c. 64) (C.C.Q.) plutôt que par l'article 2925 C.C.Q. Elle a donc rejeté sommairement l'action au motif qu'elle est prescrite.

Il est reconnu que, dans une affaire de dénonciations mensongères donnant lieu à une poursuite criminelle, le point de départ de la prescription est celui du jour de l'acquittement. Toutefois, la jurisprudence de la Cour ne permet pas de conclure avec certitude que la prescription d'une action comme celle de l'espèce est régie par l'article 2925 ou par l'article 2929 C.C.Q.

L'atteinte à la réputation au sens de l'article 2929 C.C.Q. découle d'un usage fautif de la liberté d'expression, la notion de «diffamation» renvoyant à la faute commise dans un contexte mettant en jeu la liberté d'expression et le droit de s'exprimer. Or, on ne peut pas parler d'exercice de la liberté d'expression — du moins pas seulement de liberté d'expression — lorsqu'une personne, de manière délibérée et malicieuse, dénonce faussement à la police une infraction qu'elle sait inexistante. Il s'agit alors d'un abus du droit de dénoncer, qui constitue l'acte fautif générateur du préjudice subi.

Certes, cette conduite malveillante peut entacher la réputation de la personne visée, mais c'est surtout la liberté de celle-ci qui est mise en péril, particulièrement lorsque la fausse plainte est suivie (comme elle l'a été dans le présent cas) d'une arrestation, puis d'une poursuite criminelle. L'action en responsabilité civile fondée sur l'atteinte à la liberté protégée par l'article 1 de la charte n'est donc pas une action fondée sur l'atteinte à la réputation au sens de l'article 2929 C.C.Q., mais bien une action fondée sur un autre droit, laquelle est assujettie à la prescription triennale prévue à l'article 2925 C.C.Q. Ainsi, l'action des appelants, qui est régie par cette disposition, n'est pas prescrite.

Pour sa part, le juge Bachand aurait rejeté l'appel. Selon lui, la juge de première instance a eu raison de trancher la question au stade de l'irrecevabilité et elle s'est également bien dirigée en concluant que l'action des appelants était visée par l'article 2929 C.C.Q. D'abord, la notion de fondement de l'action à laquelle renvoie le législateur à cet article doit être comprise comme ayant trait à la nature de l'atteinte initiale subie par la partie demanderesse en raison de la faute reprochée à la partie défenderesse, plutôt qu'aux conséquences de cette atteinte. Ensuite, les fautes alléguées dans la demande introductive d'instance consistent en la tenue de propos diffamatoires à l'égard du fils des appelants et non en un quelconque abus par lequel les plaignantes auraient instrumentalisé le processus en matière criminelle, ce qui implique que l'atteinte initialement subie par ce dernier a principalement trait à sa réputation. Enfin, le fait que les appelants affirment limiter leurs réclamations à des dommages-intérêts découlant d'atteintes à la liberté, à l'honneur et à la dignité de leur fils, est sans conséquence sur la qualification de leur action. 

Législation interprétée: article 2929 C.C.Q.

 

Texte intégral de la décision : http://citoyens.soquij.qc.ca

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