Cour d'appel du Québec

Bourgeois c. Cardinal

Schrager, Gagné, Moore

 

Appels de jugements de la Cour supérieure ayant rejeté un recours en oppression et ayant statué en matière de déclaration d’abus. Accueillis en partie.

L’intimé Cardinal a fondé la société intimée, inscrivant son nom et celui de l’appelante, son épouse, à titre d’administrateurs et d’actionnaires. Après la séparation du couple, l’appelante a commencé à s’intéresser aux affaires de la société, mais ses agissements ont entraîné la révocation de son mandat d’administratrice. C’est dans ce contexte qu’elle a introduit sa demande dans laquelle elle sollicitait initialement le rachat de ses actions. L'appelante a ensuite modifié son recours afin de demander la dissolution et la liquidation de la société.

Le juge de première instance a retenu que l’appelante se sentait lésée dans ses attentes découlant de sa position dans l’entreprise pour plusieurs motifs, mais qu’elle n’avait pas démontré le caractère raisonnable de ses attentes. Il a conclu que le seul remède approprié pour faire cesser toute interférence et oppression indue de sa part était son départ définitif avec le rachat de ses actions. Enfin, le juge a déclaré abusive la demande remodifiée de l’appelante ainsi que sa conduite procédurale. Dans un second jugement, il l'a condamnée à payer 25 000 $ en dommages-intérêts et 2 500 $ à titre de dommages punitifs.

Le tribunal saisi d’un recours en oppression a le pouvoir de rendre une ordonnance qui n’a pas été demandée par le demandeur, mais dans la seule mesure où il a donné l’occasion aux parties de faire valoir leurs arguments sur le redressement envisagé (art. 452 de la Loi sur les sociétés par actions (RLRQ, c. S-31.1)). En l’espèce, le juge était saisi d’une demande en dissolution et liquidation, de sorte que les articles 461 et ss. trouvaient application. En vertu de l'article 464 de la loi, il avait alors compétence pour rendre toute ordonnance qu’il estimait appropriée, y compris le rachat des actions de l’appelante.

Or, la liquidation de la société, qui était active et profitable, ne constituait pas une solution justifiée ni appropriée. L’appelante n’avait aucune attente raisonnable de continuer à agir comme administratrice, car elle n’avait jamais participé aux activités de la société. Cela dit, le juge aurait dû informer celle-ci de son intention d’ordonner le rachat de ses actions et de l’existence d’une lacune dans la preuve à cet égard vu l’absence de démonstration de leur valeur. En omettant d'inviter l’appelante à combler cette lacune, le juge a commis une erreur de droit, laquelle a entraîné la commission d’une autre erreur dans la détermination de la valeur des actions détenues par l’appelante dans la société. Le retour du dossier en première instance s’impose pour qu’une preuve sur la juste valeur marchande des actions soit faite.

Une intervention s’impose également quant à la déclaration d’abus. En effet, l’absence de règlement à l’amiable n’était pas en soi abusif. Or, la mauvaise foi de l’appelante et l’utilisation déraisonnable de la procédure par cette dernière trouvaient des assises dans la preuve. Quant à la conclusion selon laquelle l’appelante aurait entraîné inutilement les intimés et les mis en cause dans un procès de 3 jours, il faut souligner que ce n’est que la veille du procès que la société a reconnu le statut d’actionnaire de l’appelante et que ce n’est qu’au procès qu’elle a pris la position que ses actions ne valaient que 1$. Cela laisse voir que le procès était nécessaire. Au surplus, la durée du procès était déjà prévue par les parties lors de la mise en état du dossier. La somme accordée à titre de dommages-intérêts sera donc réduite de moitié, mais la condamnation à payer des dommages punitifs sera maintenu.

 

Texte intégral de l’arrêt : http://citoyens.soquij.qc.ca

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