Cour d'appel du Québec

Benoit c. Groupe CRH Canada inc.

Sansfaçon, Lavallée, Baudouin

 

Appel d’un jugement de la Cour supérieure ayant accueilli en partie une demande en réclamation de dommages moraux et punitifs. Accueilli en partie.

En leur nom personnel ainsi qu’à titre de mandataires de 24 autres personnes, les appelants ont intenté un recours contre les intimées pour les inconvénients subis en raison du camionnage excessif sur un chemin situé à quelques centaines de mètres de leurs résidences.

À compter de 2016, la construction des nouvelles infrastructures du projet de l’échangeur Turcot a requis une quantité importante de remblai de pierre concassée, dont la majeure partie provenait d’une carrière exploitée par l’intimée Groupe CRH Canada inc. L’intimée Bau-Val inc., une entreprise voisine, se consacre à la fabrication de béton bitumineux et à la vente de produits spécialisés pour l'entretien et la réparation de routes et de bâtiments. Selon les appelants, les activités de celle-ci se sont accrues au cours de la même période et ont contribué à l’augmentation du camionnage lourd sur le chemin.

Le juge de première instance a conclu que, pour les années 2016 et 2017, CRH avait généré un camionnage excessif causant des inconvénients anormaux de voisinage aux appelants. Il a aussi retenu qu’elle avait failli à son devoir de respecter les règles de conduite qui s’imposaient à elle, pendant cette même période, sur la base d’une faute prouvée en vertu du régime général de la responsabilité civile se trouvant à l’article 1457 du Code civil du Québec (L.Q. 1991, c. 64) (C.C.Q.). CRH a été condamnée à payer 20 000 $ à chacun des appelants à titre de dommages-intérêts compensatoires ainsi que 5 000 $ à titre de dommages punitifs.

Quant au bruit causé par le camionnage excessif lié aux activités de Bau-Val, le juge a estimé qu'il n’avait jamais atteint le seuil de gravité et de récurrence requis par la jurisprudence pour que la responsabilité de celle-ci soit engagée en vertu de l’article 976 C.C.Q.

Le juge n’a pas erré en concluant que le bruit causé par le camionnage de Bau-Val n’avait pas dépassé le seuil de la normalité pour un chemin public où le camionnage est autorisé. Il n’y a pas lieu non plus d’intervenir pour réformer ses conclusions portant sur les réclamations contre CRH pour les années antérieures à 2016 et les années 2018 à 2021. C’est à bon droit que le juge a estimé que cette dernière avait commis une faute et qu’elle avait contrevenu à son devoir d’agir de manière diligente quant au projet Turcot, mais seulement pour les années 2016 et 2017.

Le juge a toutefois commis des erreurs révisables dans l’appréciation des dommages compensatoires et des dommages punitifs qu’il a accordés aux appelants. À l’instar du juge de première instance dans Spieser c. Canada (Procureur général), (C.S., 2012-06-21), 2012 QCCS 2801, SOQUIJ AZ-50867639, 2012EXP-2634, J.E. 2012-1389), il a commis une erreur de droit en limitant l’analyse de la responsabilité à celle se fondant sur les troubles de voisinage. Il a négligé de se prononcer sur la responsabilité découlant de la faute civile prouvée. La conséquence de cette erreur méthodologique consistant à ne pas traiter distinctement des sources de la responsabilité de CRH est de réduire la portée du préjudice indemnisable.

En confondant ainsi les 2 régimes de la responsabilité civile, le juge a donné trop de poids aux facteurs constitutifs de la responsabilité sans faute codifiée à l’article 976 C.C.Q. Cela a influé sa perception du préjudice réel découlant de la faute, laquelle comprend l’atteinte illicite et intentionnelle pour laquelle il a ordonné le paiement de dommages punitifs.

En l'espèce, condamner CRH au paiement de dommages-intérêts compensatoires de 25 000 $ à chaque appelant pour chacune des années 2016 et 2017 est juste et raisonnable. Cette condamnation tient compte des inconvénients très importants qu’ils ont subis de manière continue, et sur une longue période.

D'autre part, les dirigeants de CRH ont pris une décision économique en considérant les inconvénients subis par les appelants comme des dommages collatéraux compensables par des montants dérisoires. Ils se sont alors exposés à devoir payer des dommages punitifs suffisamment importants pour ne pas banaliser l’atteinte intentionnelle au droit des appelants. Compte tenu de la situation patrimoniale de CRH et de la gravité de l’atteinte, elle est condamnée à payer 10 000 $ à chaque appelant

 

Texte intégral de la décision : http://citoyens.soquij.qc.ca

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