Cour d'appel du Québec

955 René-Lévesque Est c. Jetté

Bich, Bachand, Kalichman

Appel d'un jugement de la Cour supérieure ayant rejeté un moyen déclinatoire fondé sur l'article 167 du Code de procédure civile (RLRQ, c. C-25.01). Accueilli.

L’appelante, qui est propriétaire d’un immeuble exploité à ce jour comme résidence privée pour aînés (RPA), a transmis aux locataires un avis d'éviction pour changement d'affectation, à moins que ces derniers n'acceptent de devenir de «simples locataires». Malgré l'existence de recours en opposition entrepris par les locataires devant le Tribunal administratif du logement (TAL), la locataire intimée, agissant pour son propre compte et celui des 56 autres résidents l'ayant mandatée à cette fin, a intenté une demande en injonction devant la Cour supérieure. Le juge de première instance a rejeté l'exception déclinatoire de l'appelante à l'encontre de cette demande après avoir conclu que le litige entre les parties relevait de la compétence de la Cour supérieure en raison, notamment, de sa compétence exclusive en matière d'injonction et de la nature du litige. Une ordonnance de sauvegarde, renouvelée jusqu'au 18 septembre 2023, oblige l'appelante à prendre les mesures nécessaires pour maintenir l'exploitation et la certification de l'immeuble à titre de RPA de catégorie 1.

Le juge de première instance a erré dans son application de la méthode analytique en 2 étapes énoncée dans Procureur général du Québec c. Groleau (C.A., 2022-04-26), 2022 QCCA 545, SOQUIJ AZ-51847663, 2022EXP-1232, 2022EXPT-1072, afin de départager les compétences de la Cour supérieure et celles d'un autre tribunal.

De manière générale, ce n’est pas la nature de la réparation recherchée qui détermine la compétence ratione materiae sur le litige, mais bien la nature de celui-ci. Le recours à des remèdes ou à des véhicules procéduraux relevant expressément de la Cour supérieure, comme l’injonction sollicitée par l'intimée en l'espèce, ne permet pas de court-circuiter la compétence exclusive conférée par le législateur à un autre tribunal sur un sujet particulier, comme c'est le cas du TAL. De plus, un tribunal inférieur peut avoir pleine compétence sur le fond d’un litige même s’il n’est pas investi du pouvoir de rendre des ordonnances destinées à sauvegarder les droits des parties pendant l’instance. En pareil cas, la Cour supérieure peut lui apporter son aide en rendant les ordonnances temporaires qui permettent d’assurer cette sauvegarde. La question n’est donc pas de savoir si le TAL peut rendre une ordonnance de sauvegarde, mais s’il peut être valablement saisi, sur le fond, de l’affaire que l’intimée a plutôt choisi de présenter à la Cour supérieure.

L'examen des dispositions législatives régissant le champ de compétence du TAL permet de constater que celui-ci a une compétence exclusive relativement aux sujets énumérés à l'article 28 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement (RLRQ, c. T-15.01) ainsi que sur les litiges qui s’y rattachent, à l'exclusion de tout autre tribunal, y compris la Cour supérieure. Cette compétence s’étend à toutes les questions de fait ou de droit susceptibles d’être soulevées par de tels litiges et il ne convient pas de tenter de distinguer celles-ci pour échapper à cette compétence en faveur des cours de justice.

En l'espèce, le différend entre les parties relève du ressort exclusif du TAL en vertu de l'article 28 de la loi. Celui-ci pourra décider du recours en opposition de l'intimée tout en se prononçant sur l’intention réelle de la locatrice et, plus généralement, sur la légalité du changement d’affectation, et ce, en fonction de toute disposition législative ou réglementaire pertinente, y compris celles du Code civil du Québec (L.Q. 1991, c. 64), ce qui va au-delà des seules dispositions que contient le chapitre consacré au bail de logement.

 

Texte intégral de l’arrêt : http://citoyens.soquij.qc.ca

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