Droit de la famille - 25868
Appel d’un jugement de la Cour supérieure ayant rejeté une demande en modification de garde d’enfant et ayant accueilli une demande en déchéance de l’autorité parentale. Accueilli.
Les parties ont un fils de 6 ans, X. Au terme d’une relation marquée par la violence familiale, elles ont convenu que la mère exercerait la garde de l’enfant et que le père bénéficierait de droits d’accès supervisés dont la fréquence et la durée ont augmenté graduellement avec le temps.
La juge de première instance a conclu que la déchéance de l’autorité parentale du père s’imposait, car il subsistait un risque que X soit exposé à de la violence familiale dans l'avenir et que les symptômes psychologiques que présentait la mère à la suite de la violence dont elle avait été victime persistent tant qu’elle serait contrainte d’entretenir des contacts avec le père en raison de leurs obligations conjointes à l’égard de leur fils.
Le Code civil du Québec (L.Q. 1991, c. 64) (C.C.Q.) a récemment été modifié afin d'incorporer la notion de «violence familiale» parmi les éléments pertinents dans l'analyse de l'intérêt de l'enfant. Cette notion englobante regroupe notamment la violence conjugale et la violence sexuelle (art. 33). L'article 606 C.C.Q. prévoit également que la présence de violence familiale peut constituer un motif de déchéance de l'autorité parentale. Cela dit, il est reconnu que la déchéance de l’autorité parentale est une mesure exceptionnelle, d’où la latitude accordée par le législateur au tribunal pour moduler la garde ou les droits d’accès, retirer uniquement certains attributs de l’autorité parentale ou encore réserver au parent déchu le droit de demander que l’autorité parentale lui soit restituée en présence de circonstances nouvelles. Dans le cadre de l’analyse de l’intérêt de l’enfant, la violence conjugale et ses effets sur le parent qui en est victime doivent recevoir une attention particulière, sans toutefois qu’il soit fait abstraction de tout le contexte et de l’ensemble des circonstances.
En l’espèce, l’approche de la juge l’a amenée à se concentrer sur les répercussions de la violence conjugale sur la mère et, accessoirement, sur X, plutôt qu’à évaluer globalement l’intérêt de l’enfant en tenant compte de l’ensemble des circonstances. Certes, le comportement violent passé du père envers la mère et ses ex-conjointes est incontesté, inexcusé et inexcusable, mais celui-ci a fait face aux conséquences de ses actes et il s’est conformé aux ordonnances des tribunaux. Il a aussi entrepris de changer son comportement en s’engageant dans une démarche soutenue de responsabilisation et de réhabilitation. Il faut aussi rappeler qu’il exerce des droits d’accès depuis près de 5 ans, qu’il n’a jamais abandonné X, qu’il a toujours manifesté son désir d’être présent dans sa vie et qu’il a respecté ses obligations financières à son endroit en payant une pension alimentaire et en offrant à son fils ce dont il avait besoin. Il faut enfin constater l’attachement de l’enfant envers son père et la qualité du lien qu’ils semblent entretenir.
Le véritable enjeu soulevé par la juge est lié à la capacité de reconstruction de la mère. Or, rien ne permet d’évaluer l’effet du maintien des droits d’accès sur l’état de santé de cette dernière ou sur le bien-être de X. À l’inverse, la déchéance de l’autorité parentale priverait l’enfant d’un père qu’il aime et qui l’aime ainsi que d’un soutien financier. En outre, la juge a omis d’évaluer si des avenues autres que la déchéance de l’autorité parentale pouvaient être envisagées afin de permettre à l’enfant de grandir en côtoyant son père dans un environnement sécuritaire tout en réduisant les répercussions de ces contacts sur la mère. Cette omission et son analyse, largement concentrée sur l'intérêt de la mère, justifient une intervention.
Le dossier sera retourné devant la Cour supérieure afin que celle-ci se prononce sur la demande de modification des droits d’accès du père, tout en s’assurant pour le moment de limiter au minimum les contacts entre les parties. Cela n’exclut pas la possibilité du retrait de certains attributs de l’autorité parentale du père.
Texte intégral de la décision : https://citoyens.soquij.qc.ca