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Bédard c. Sa Majesté le Roi

Pénal – conduite dangereuse causant la mort – mens rea – degré de négligence – inattention – durée – distraction

 

Appel d'une déclaration de culpabilité. Accueilli. 

L'appelant, qui conduisait sur un boulevard, a traversé une intersection sans s'arrêter, même si le feu de signalisation était rouge. Il a ainsi heurté de plein fouet un motocycliste, qui est décédé sur le coup. L'appelant n'a ni freiné ni accéléré dans les instants ayant précédé la collision. Celui-ci attribue cet accident à une inattention de sa part, mais sans savoir ce qui l’a provoquée. Au procès, l'appelant n'a pas contesté l'actus reus, mais il a nié la mens rea requise pour être déclaré coupable de conduite dangereuse causant la mort. La juge lui a donné tort. 

La juge a commis 2 erreurs, la première ayant engendré la seconde. Elle a estimé que l'appelant avait franchi une distance de l’ordre de 585 à 630 mètres (à 78 kilomètres à l'heure) pendant 27 secondes, soit la période ayant précédé la collision et pendant laquelle le feu était rouge. Pourtant, rien dans la preuve ne démontre que le feu rouge était visible à 27 secondes de l’intersection où la collision est survenue ou, en termes de mesure de distance, plus de 500 mètres avant d’y arriver. Malgré cela, la juge a calculé la durée de l’inattention de l’appelant en fonction de cette prémisse. Or, c’est en fonction de cette durée de 27 secondes que la juge a conclu que l’inattention de l’appelant ne pouvait être qualifiée de momentanée. Au contraire, elle y a vu la preuve qu’il conduisait sans penser à sa façon de conduire. Ce faisant, elle a tiré une inférence de fait qui est manifestement erronée, et cette erreur est déterminante. 

La seconde erreur commise par la juge est une erreur de droit. Bien qu’elle ait correctement énoncé les règles applicables, son raisonnement trahit néanmoins une mauvaise compréhension de celles-ci. Elle ne s'est pas posé l’ultime question à laquelle il lui fallait répondre: la conduite de l’appelant était-elle suffisamment grave ou blâmable pour être qualifiée de criminelle? La juge s'est plutôt livrée à une analyse en surface. Elle a inféré la mens rea de l’actus reus. Sa conclusion qu'une personne raisonnable aurait vu le feu rouge au cours des 27 secondes et en circulant pendant une distance de plus de 500 mètres avant l’intersection ne suffisait pas. Elle devait rechercher dans la preuve les indices probants d’un comportement dénotant de la négligence atteignant un degré élevé, ce qu’elle a manifestement été incapable de faire. Au contraire, la preuve lui a fait dire que le «mode de conduite [de l’appelant] préalablement à l’accident [était] sans faille», et que celui-ci était un conducteur habituellement prudent et respectueux. Il est vrai que l’appelant n’a pu expliquer ce qui avait causé son inattention. Toutefois, c’était à la poursuite qu’incombait le fardeau de prouver hors de tout doute raisonnable qu’il avait la mens rea requise. Certes, la conduite de l’appelant était fautive sur le plan civil et les conséquences qui en ont résulté sont dramatiques. En revanche, il répugne à l’esprit de lier à cette conduite négligente les stigmates d’une déclaration de culpabilité criminelle pour ce qui n’aura été, en définitive, qu’une simple distraction comme les conducteurs les plus prudents peuvent en commettre.

N’eussent été les 2 erreurs commises par la juge, l’appelant aurait été acquitté, la preuve ne permettant pas d’étayer une déclaration de culpabilité. La Cour infirme donc celle-ci et y substitue un acquittement. 

 

Texte intégral de la décision : https://citoyens.soquij.qc.ca